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Commentaire hebdomadaire

La vérité concernant l’équilibre budgétaire du Québec: sans gains d’efficacité inédits, les services seront affectés

20 juin 2025
Jimmy Jean, vice-président, économiste en chef et stratège
Sonny Scarfone, économiste principal

Nous venons de publier nos Prévisions économiques et financières, qui reflètent notre lecture d’une conjoncture encore très évolutive cette année. Le constat est nuancé, la situation s’avérant moins préoccupante que ce que laissaient craindre nos scénarios hivernaux, mais elle demeure moins favorable qu’à la veille de l’élection américaine.

Les rebondissements demeurent presque quotidiens, créant une situation inhabituelle pour les prévisionnistes : la croissance à moyen terme semble aujourd’hui plus facile à anticiper que celle à court terme. Dans ce contexte, peu importe la durée du conflit commercial en cours, les perspectives économiques du Québec au-delà des perturbations actuelles s’annoncent plus modestes que celles du reste du pays. Deux facteurs principaux expliquent cet écart : un ralentissement démographique plus marqué et une marge de manœuvre budgétaire désormais réduite.

 

La démographie, pas qu’une histoire de ratio

Bien qu’il soit clair que le rythme d’accueil des nouveaux arrivants des dernières années dépassait les capacités physiques et organisationnelles en place, le Québec amorce un tournant symbolique. Pour la première fois l’an dernier, la croissance naturelle de la population est devenue négative, avec plus de décès que de naissances. Le Québec rejoint à ce titre un groupe de plus en plus large de provinces et de pays, notamment la Colombie-Britannique et les provinces de l’Atlantique, ainsi que des pays principalement d’Europe et d’Asie, où l’on observe le même phénomène.

Il n’y a pas lieu de tirer la sonnette d’alarme, mais ce constat soulève une question de fond : sans un apport migratoire suffisant et bien intégré, le poids de l’appareil public, des soins de santé à l’éducation, en passant par les services publics, reposera sur un bassin de travailleurs de plus en plus restreint. À mesure que davantage de pays feront face à cette réalité, la concurrence mondiale pour attirer les talents s’intensifiera.

L’augmentation rapide de la population au cours des dernières années a toutefois mis à l’épreuve le consensus canadien et, dans une certaine mesure, québécois, qui s’imposait depuis des décennies en matière d’immigration. Pendant plusieurs trimestres, la croissance démographique a dépassé celle de l’économie, entraînant une baisse du produit intérieur brut (PIB) réel par habitant. Il s’agit d’un simple constat arithmétique, mais qui est souvent interprété comme un signe de recul du niveau de vie. Cette lecture repose sur l’idée que le PIB constitue un bon indicateur du bien-être économique, une notion qui ne fait pas l’unanimité, bien qu’il existe une forte corrélation [en anglais seulement] Lien externe au site. entre le niveau du PIB et celui des indices de développement humain.

Pas besoin de faire appel à des mathématiques avancées pour conclure qu’une façon d’augmenter le PIB par habitant pourrait consister à limiter l’entrée de travailleurs à bas salaire ou à ne pas renouveler certains permis de travail temporaires. À court terme, cette logique peut sembler intuitive mais demeure réductrice : il n’est pas évident, par exemple, qu’un emploi faiblement rémunéré ait un effet négatif sur le bien-être d’un travailleur déjà en poste dans l’économie (effet de composition).

À plus long terme, une stagnation démographique peut entraîner un cercle vicieux : ralentissement de l’innovation, recul des investissements privés, pressions sur la qualité des services publics, exode des talents, etc. Une revue de littérature du Economic Innovation Group [en anglais seulement] illustre bien ces dynamiques dans plusieurs régions métropolitaines américaines confrontées à un déclin démographique. De façon plus large, une lecture strictement arithmétique de la situation, centrée sur le dénominateur du PIB par habitant, risque de négliger les dynamiques économiques plus profondes qu’une stagnation prolongée peut engendrer.

Du point de vue des finances publiques, cette situation signifie également que le fardeau budgétaire, y compris la dette accumulée, repose ultimement sur un nombre plus restreint de contribuables. Ce constat nous amène au deuxième facteur qui risque de freiner plus fortement la croissance économique relative du Québec, comparativement au reste du pays, d’ici la fin de la décennie.

 

Une contribution moindre du secteur public à venir

La résilience actuelle de l’économie québécoise repose en grande partie sur la solidité de l’emploi dans les secteurs financés par l’État, comme la santé, l’éducation et l’administration publique. Mais avec des finances publiques sous pression, il est légitime de s’interroger sur la capacité de maintenir un tel rythme.

En attendant le rapport sur la situation financière du Québec, prévu pour la fin juin et qui offrira un portrait plus précis de la situation au 31 mars 2025, rappelons les constats principaux du dernier budget du gouvernement du Québec :

  • En 2025-2026, le déficit selon les comptes publics atteindra 11,4 G$ (1,8 % du PIB);
  • Lors du même exercice financier, le déficit selon la Loi sur l’équilibre budgétaire, qui inclut le versement au Fonds des générations, sera de 13,6 G$ (2,2 % du PIB);
  • Cette même loi exige un retour à l’équilibre d’ici 2029‑2030, avec un déficit maximal de 1,5 G$ permis en 2028‑2029.

Comme résumé dans notre analyse de mars dernier, le budget identifie généralement où s’effectueront les efforts de consolidation budgétaire des prochaines années. Toutefois, plusieurs mesures restent à identifier en vue d’atteindre l’équilibre budgétaire d’ici la fin de la décennie.

Du côté des revenus, ceux-ci demeurent étroitement liés à la conjoncture économique. Les prévisions gouvernementales, bien qu’un peu plus optimistes que les nôtres, restent globalement alignées avec celles du secteur privé. Cela dit, les perspectives de croissance sont limitées : la dynamique démographique ne jouera pas un rôle moteur et une hausse du fardeau fiscal semble peu probable à court terme, surtout à l’approche d’une année électorale, et en considérant que le fardeau fiscal des Québécois est plus élevé qu’ailleurs en Amérique du Nord.

En ce sens, l’essentiel des efforts devra venir du côté des dépenses. À titre illustratif, voici les faits saillants du budget 2025‑2026 concernant la répartition des 165,7 G$ de dépenses consolidées anticipées :

  • 40 % sont consacrés à la santé et aux services sociaux;
  • 21 % vont à l’éducation et à l’enseignement supérieur (dont environ les deux tiers pour l’éducation);
  • 34 % couvrent les autres portefeuilles ministériels (famille, transports et mobilité durable, emploi, sécurité sociale, etc.);
  • Un peu moins de 6 % sont alloués au service de la dette.

Or, alors que le gros de l’effort de consolidation budgétaire passera par les dépenses, il est légitime de s’interroger sur l’incidence qu’aura une croissance limitée des dépenses de portefeuille, estimée à seulement 1,7 % par an entre 2024‑2025 et 2029‑2030. Deux constats s’imposent : d’abord, cette estimation représente une borne supérieure puisqu’elle ne tient pas compte des éventuelles mesures de dépenses qui seront identifiées pour résorber l’écart résiduel. Ensuite, dans un contexte où l’inflation moyenne dépasse de peu les 2 %, cela représenterait une contribution réelle négative à l’économie1. Il s’agirait en fait de la plus faible croissance soutenue des dépenses publiques des dernières décennies.

Lorsqu’il s’agit de restreindre les dépenses, il y a des limites à ce qui peut être accompli sans affecter la qualité des services à la population. Bien qu’une ventilation complète des dépenses ne soit pas disponible jusqu’en 20292030, le budget prévoit une croissance annuelle moyenne de 2,5 % pour la santé et les services sociaux jusqu’en 2026‑2027. Ce rythme, bien qu’au-dessus de l’inflation, pourrait être insuffisant pour maintenir la qualité des soins, surtout dans un secteur où la rémunération, encadrée par des conventions collectives, représente une part importante des coûts et où les hausses salariales prévues dépassent ce seuil (voir la Section B du Budget 2024-2025).

Cela implique ainsi des gels, voire des compressions, dans d’autres volets du système. Et ce, alors que des études ont déjà souligné qu’en tenant compte de l’évolution technologique et des besoins croissants, un taux de croissance annuel d’environ 5 % serait plutôt nécessaire ou souhaitable pour assurer « une progression continue de l’accès et de l’amélioration [du système de santé] ».

En éducation et en enseignement supérieur, les dépenses sont appelées à croître annuellement de 2,1 % et 0,9 %, respectivement. Ici aussi, la progression plus rapide des salaires, souvent encadrés par des conventions collectives, accentuera la pression sur les autres postes budgétaires (Québec demandait d’ailleurs cette semaine des efforts additionnels de  570 M$ aux centres de services scolaires et aux écoles privées). Rare source d’allègement, la baisse prévue du nombre d’élèves dans les réseaux primaire et secondaire, selon les projections démographiques de l’Institut de la statistique du Québec, pourrait atténuer quelque peu ces pressions d’ici le retour à l’équilibre budgétaire. Cela dit, cette perspective s’inscrit dans un contexte où les acteurs du milieu dénoncent déjà un écart important entre les besoins sur le terrain et les ressources disponibles.

Avec un service de la dette appelé à croître, et qui ne fait pas l’objet de choix budgétaires discrétionnaires, tout manque à gagner devra être absorbé par les autres portefeuilles. Toutefois, ceux-ci ne représentent qu’environ le tiers des dépenses consolidées, et plusieurs affichent déjà des prévisions de croissance inférieures à l’inflation projetée. Quelques exceptions subsistent, notamment les ministères de la Famille, des Transports et de la Mobilité durable, ainsi que celui de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques. Mais avec les défis en cours (changements climatiques, électrification, etc.), des hausses équivalentes à l’inflation ne suffiraient pas pour répondre aux ambitions sociétales du Québec.

Qu’est-ce qu’il faut en conclure? Dans les cinq années à venir, il sera peu réaliste de compter sur une contribution positive des dépenses courantes du gouvernement du Québec à la croissance économique. Le cadre budgétaire, déjà contraint, pourrait l‘être davantage. Les marges de manœuvre resteront limitées, tandis qu’une hausse du fardeau fiscal des contribuables semble peu envisageable. Les gains d’efficacité au sein de l’appareil gouvernemental sont évidemment souhaitables, voire nécessaires, mais ils ne suffiront pas. Vu l’ampleur des efforts requis pour rétablir l’équilibre budgétaire, certaines compressions semblent inévitables. Et il faudra se croiser les doigts pour qu’il n’y ait pas un revers de conjoncture majeur qui compliquerait la tâche davantage dans les prochaines années.

Bref, l’effort requis pour retrouver l’équilibre budgétaire est tel qu’il impliquera des arbitrages. Et ceux-ci renverront à des choix de société : quoi prioriser? Quoi réduire? Et à quel coût social? Dans un contexte où le Québec vieillit, aspire à mieux former, mieux soigner et mieux transformer son économie, ces questions ne peuvent être tranchées en silence. Elles méritent plutôt un débat public franc et lucide.

 

Sauf en cas de gains d’efficacité importants, ce que visent plusieurs initiatives en cours.

Lire la publication Indicateurs économiques de la semaine du 18 au 22 juillet 2022

Consultez l'étude complète en format PDF.

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