- Sonny Scarfone
Économiste principal
Québec 2026 : à l’heure de choix démographiques conséquents
Une cible d’immigration permanente cohérente, mais qui ne
suffira pas sans une relance vigoureuse de la productivité
L’année 2025 a été marquée par une série de rebondissements, rarement positifs. Pourtant, en octobre Lien externe au site., le taux de chômage au Québec demeurait inférieur à celui observé à la même période l’année précédente, et ce, malgré l’incertitude provoquée par les résultats de l’élection américaine et les bouleversements dans la politique commerciale de notre principal partenaire d’exportation.
Cette évolution, bien qu’encourageante à première vue, s’inscrit dans une dynamique plus complexe : celle d’une transformation démographique qui exerce une pression croissante sur le marché du travail. Compte tenu des bases démographiques de la province (accélération des départs à la retraite, faible natalité, ralentissement de la croissance de la population active), il est probable qu’en l’absence de récession importante, le taux de chômage continue de converger vers les 4 % pour le reste de la décennie. Une telle situation, bien qu’elle puisse sembler favorable, n’est pas nécessairement synonyme de prospérité. Elle soulève des défis majeurs pour la croissance économique, la planification budgétaire et la pérennité des services publics.
C’est dans ce contexte que le gouvernement du Québec a annoncé, le 5 novembre dernier, que les cibles d’immigration permanente pour la période 2026‑2029 seraient fixées à 45 000 personnes par année, un niveau légèrement inférieur à celui observé durant les années 2010. Bien qu’il s’agisse du scénario le plus ambitieux parmi ceux envisagés, ce seuil ne suffira pas à inverser la tendance démographique actuelle. En effet, les décès surpassent désormais les naissances sur le territoire québécois (voir graphique 1), ce qui a entraîné en 2024 un déclin de la croissance naturelle de la population pour la première fois, alors que celle‑ci ajoutait plus de 20 000 personnes par année il y a 10 ans.
Par ailleurs, les différents paliers gouvernementaux souhaitent ramener la proportion de résidents non permanents (RNP) à 5 % de la population, alors qu’elle se situe actuellement à un peu moins de 7 % au Québec.
La volonté de réduire les seuils d’immigration, notamment la part des RNP, repose sur des préoccupations légitimes : pression sur les services publics, tensions sur le marché immobilier, hausse du chômage chez les jeunes, et défis liés à l’intégration des nouveaux arrivants dans une société francophone minoritaire en Amérique du Nord. Cela dit, il est essentiel de considérer les effets à moyen et long terme de ces décisions. Dans un contexte de vieillissement démographique et de stagnation de la population active, une réduction trop marquée des flux migratoires pourrait accentuer les pénuries de main‑d’œuvre, ralentir la croissance économique et compliquer l’équilibre des finances publiques. Ces choix doivent donc être faits en toute transparence, en tenant compte des compromis qu’ils impliquent.
Illustration de notre scénario de base
Nous avons développé un cadre analytique permettant d’estimer, d’ici 2050, l’incidence de différentes politiques démographiques. Ce cadre intègre plusieurs paramètres : les cibles d’immigration permanente, les décisions relatives à l’immigration temporaire (exprimée en pourcentage de la population), les taux de natalité, les taux d’activité selon l’âge et le genre, ainsi que l’espérance de vie projetée pour les différentes générations.
Depuis que l’Institut de la statistique du Québec a évoqué, en juillet dernier, une stagnation démographique pour la prochaine décennie, nous avons exprimé notre scepticisme quant au maintien des intentions politiques, qui sont utilisées comme intrants dans ces projections démographiques. Plusieurs éléments méritent d’être pris en compte, notamment les difficultés persistantes à pourvoir des postes dans les régions hors des grands centres urbains, où les taux de postes vacants demeurent pour la plupart supérieurs à la moyenne prépandémique (voir graphique 2).
Nous continuons d’ailleurs d’anticiper que les cibles provinciales de réduction de la population de RNP ne seront pas pleinement atteintes sur l’horizon considéré. Des facteurs comme l’instauration potentielle de clauses de droits acquis, particulièrement dans les régions non urbaines, ou d’autres mesures d’exception pourraient freiner cette diminution. Pour la plupart, les RNP font depuis quelques années des efforts d’intégration, ont développé des compétences au sein de leurs milieux de travail, et les entreprises qui les emploient ont déjà investi dans leur formation. Dans plusieurs cas, ils occupent des postes qui intéressent moins souvent les natifs.
En prenant pour hypothèse les éléments suivants, nous obtenons les projections démographiques présentées aux graphiques 3 et 4 :
- Cibles annoncées concernant l’immigration permanente pour 2026-2029;
- Suivies d’un retour aux niveaux d’immigration permanente correspondant à la moyenne observée entre 2000 et 2019, soit environ 0,6 % de la population (entre 55 000 et 60 000 immigrants permanents par année entre 2031 et 2050);
- Atteinte partielle des cibles de réduction des RNP, étalée sur une période plus longue, avec une cible de 5 % de la population totale maintenue à terme;
- Taux de natalité stable.
Le graphique 3 illustre une stagnation de la population jusqu’en 2030, suivie d’un retour graduel à la croissance. Cette reprise demeure toutefois limitée : la population n’augmenterait que de 275 000 personnes entre 2025 et 2050, soit environ la moitié de la croissance absolue observée depuis 2022. En revanche, la population active resterait stable, se maintenant à son niveau actuel tout au long des prochaines décennies.
Le graphique 4 met en lumière les conséquences du vieillissement démographique sur le taux d’activité et le taux de dépendance. Le taux d’activité diminue progressivement pour atteindre environ 60 %, soit le niveau observé à la fin des années 1970, une période marquée par l’entrée significative des femmes sur le marché du travail, puis accélérée par la mise en place des centres de la petite enfance à la fin des années 1990. Aujourd’hui, les femmes québécoises comptent parmi les plus actives professionnellement au monde.
Parallèlement, le taux de dépendance plafonne autour de 80, ce qui signifie qu’il y aurait environ 80 personnes d’âge scolaire ou à l’âge de la retraite pour chaque tranche de 100 personnes en âge de travailler. La dernière fois que ce ratio avait atteint un tel niveau, les baby‑boomers n’avaient pas encore quitté les bancs d’école. Cette fois, cependant, la pression démographique proviendra surtout du vieillissement de la population, dont les besoins en soins de santé excèdent largement les coûts associés à l’éducation des jeunes du primaire et du secondaire.
Cette évolution aura des répercussions majeures sur les finances publiques du Québec. Avec une population active qui stagne et un taux d’activité en recul, le fardeau fiscal risque de s’alourdir pour les travailleurs, tandis que la croissance des recettes fiscales sera plus lente que celle des dépenses. Sans ajustements majeurs, comme une hausse de la productivité, une révision des politiques fiscales ou une adaptation des services publics, le modèle budgétaire actuel pourrait devenir difficilement soutenable à moyen et long terme.
Plein feu sur 2026 : un choix de société à assumer pleinement
Bien entendu, plusieurs paramètres pourraient mener à des trajectoires démographiques différentes. Dans une étude à venir, nous explorerons divers scénarios, en approfondissant notamment les enjeux liés à la natalité, qui a atteint un nouveau creux en 2024, alors que le taux de fécondité s’établissait à 1,34 enfant par femme au Québec. Une hausse de ce taux, bien qu’elle puisse soutenir l’accroissement naturel, entraîne à court terme une augmentation du ratio de dépendance, jusqu’à ce que les nouveaux‑nés atteignent l’âge de travailler, ce qui reporte les bénéfices démographiques de plusieurs décennies.
Au bout du compte, comme l’a dit le philosophe français Auguste Comte, la démographie, c’est le destin. Un taux d’activité en déclin et un bassin de travailleurs réduit pour soutenir les jeunes et les aînés représentent un choix de société qui peut être justifié par des facteurs non économiques. Notre scénario de base, lui, maintient le bassin de travailleurs, mais suppose un retour des cibles d’immigration permanente à celles en vigueur avant la pandémie. En revanche, un maintien de la cible de 45 000 appliquée au‑delà des prochaines années impliquerait une contraction de ce bassin dès aujourd’hui, puis de façon accélérée à compter de la fin des années 2030.
Inversement, maintenir un niveau élevé d’immigration, avec les défis que cela implique en matière de francisation, d’intégration et de pression sur les services publics, est aussi un choix de société légitime. L’essentiel est d’être transparent quant aux compromis à faire, peu importe l’avenue retenue. En cette année électorale qui s’amorce prochainement, il serait souhaitable que les différents partis assument les enjeux entourant leurs propositions, sans lésiner sur les compromis qu’elles impliquent.
Dans ce contexte, la nouvelle cible de 45 000 immigrants permanents par année apparaît somme toute équilibrée. Elle permet de répondre partiellement aux besoins du marché du travail tout en tenant compte des capacités d’accueil et d’intégration qui ont été mises à mal ces dernières années. Toutefois, en l’absence de gains de productivité significatifs, tels que l’on n’en a pas observés depuis longtemps, ce niveau, au‑delà des prochaines années, risquerait de freiner l’attrait du Québec pour les investisseurs et de limiter son potentiel de croissance économique à moyen et long terme (un sujet abordé plus en détail dans notre étude à venir).
Par ailleurs, les pressions budgétaires liées au vieillissement de la population ne peuvent être ignorées. Les coûts associés aux soins de santé pour les aînés croîtront plus rapidement que les revenus fiscaux, dans un contexte de stagnation de la population active. Sans réformes structurelles, qu’il s’agisse de moderniser les services publics, de revoir les politiques fiscales ou d’établir les consensus Lien externe au site. qui permettront de lever les obstacles à la création de richesse et relancer la productivité, la viabilité du modèle budgétaire québécois pourrait être compromise.
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