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La résilience s’effritera-t-elle?
Éditorial
Par Jimmy Jean, vice-président, économiste en chef et stratège
L’été a été marqué par une clarification progressive de la politique tarifaire américaine. Après une série d’annonces, de reculs et de trêves temporaires, notamment avec la Chine, les États‑Unis ont multiplié les négociations, exemptions et reports de dates butoirs. Une fois la dernière grande date butoir (1er août) franchie, les tarifs avaient été formalisés pour plusieurs secteurs (acier, aluminium, cuivre, bois d’œuvre, etc.), et des ententes partielles avaient été annoncées avec certains partenaires comme l’Europe, le Japon ou le Royaume‑Uni. Ces développements ont calmé la nervosité, mais elles ne changent pas la réalité de fond : les tarifs sont là pour durer. Au Canada, l’Accord Canada–États‑Unis–Mexique (ACEUM) protège encore une large part des exportations, mais les dommages dans les secteurs sensibles sont tangibles : 60 000 emplois manufacturiers envolés depuis janvier, des arrêts de production automobile en Ontario, tout comme dans l’industrie forestière au Québec. Ce choc ne s’est toutefois pas propagé comme une onde de 2008 : les marchés boursiers sont vigoureux, la consommation résiste et l’économie mondiale évite l’effondrement. Mais le risque est bien là, d’autant plus que Washington n’a pas tout à fait terminé son offensive tarifaire. Les semi-conducteurs et les produits pharmaceutiques sont dans la mire, tout comme la révision de l’ACEUM, en vue de laquelle le gouvernement américain a déjà déclenché des consultations publiques.
C’est dans ce contexte que le premier budget du gouvernement Carney sera dévoilé le 4 novembre prochain. L’équation est redoutable : réarmer le pays, accélérer la réalisation d’infrastructures, tout en comprimant les dépenses courantes. Les cibles sont ambitieuses : défense à 2 % du PIB dès l’exercice financier courant, puis 3,5 % d’ici 2035; investissements publics de 25 G$ dans les infrastructures « structurantes »; compressions dans les dépenses de programmes.
Des doutes ont été soulevés sur la cote du crédit du Canada. Le risque d’une décote reste selon nous faible Lien externe au site., mais si le déficit devait dépasser 100 G$, comme le laissent entendre certaines rumeurs, les investisseurs obligataires scruteront le budget avec une sévérité inhabituelle. Leur jugement portera sur deux volets : 1) la crédibilité de la trajectoire de réduction de 15 % des dépenses de programmes d’ici 2028; 2) la solidité du plan d’exécution des mesures structurantes – calendrier, gouvernance et indicateurs compris.
En effet, l’heure n’est plus aux grandes proclamations. Il faut maintenant entrer dans les détails au sujet de l’exécution des projets dits « structurants », ce qui inclut la gestion des effets secondaires de certaines mesures. Par exemple, en construction, la concurrence pour la main-d’œuvre et les intrants risque de s’intensifier alors que la rareté et les pressions sur les coûts sont déjà élevées. Bref, la crédibilité de la vision économique de Carney tiendra à sa capacité d’exécuter : à défaut, même les meilleurs idéaux resteront sur la planche à dessin. Pour l’heure, nos prévisions incorporent un certain apport à la croissance à partir de 2026, notamment par le biais des investissements publics. Cela reste toutefois des estimations préliminaires en attendant davantage de détails.
Du côté des ménages, une drôle de dualité s’est installée. Malgré une confiance effondrée à des niveaux de récession, les dépenses ont progressé au premier semestre; le marché immobilier québécois surprend à la hausse, tandis que ceux d’Ontario et de Colombie‑Britannique ont montré des signes de stabilisation. Mais les fondements de la consommation se détériorent : le chômage monte, non plus parce que la population active enfle, mais en raison des quelque 100 000 pertes d’emplois recensées durant l’été. Phénomène d’abord concentré chez les jeunes Lien externe au site. et les nouveaux arrivants, la hausse du chômage gagne désormais le noyau des 25 à 54 ans : leur taux de chômage a atteint un sommet inégalé depuis 2016 (hors pandémie). En juillet, le nombre de personnes de 25 à 54 ans recevant des prestations régulières d’assurance-emploi était en hausse de 15,1 % sur un an. Si cette cohorte commence véritablement à être touchée, c’est le socle de la consommation qui vacille, les 25 à 54 ans étant ceux qui dépensent le plus en moyenne par ménage. Bref, le lien entre confiance et dépenses s’est peut-être brouillé, mais celui entre revenus et consommation demeure implacable – et plusieurs voyants jaunes se sont récemment allumés.
La volatilité démographique représente un enjeu additionnel. Après une envolée postpandémique, la croissance démographique recule brutalement : moins de résidents permanents, moins de travailleurs et d’étudiants étrangers. Or, le Québec, la Colombie‑Britannique et les provinces de l’Atlantique sont en situation d’accroissement naturel négatif. Un resserrement musclé de l’immigration a donc des implications négatives pour la croissance potentielle et annonce un fardeau budgétaire plus lourd à mesure que le ratio de dépendance augmente. La recherche d’un équilibre entre les besoins économiques et la capacité d’accueil demeure une nécessité.
En somme, il faut encore retenir son souffle sur une foule de paramètres. Pour l’instant, il n’y a pas de récession brutale, pas de contraction généralisée, et une certaine forme d’adaptation à l’incertitude. Mais parfois ce n’est pas le choc immédiat qui est le plus destructeur, mais la paralysie qu’il engendre. Si les entreprises et les ménages se convainquent que les règles changent trop vite pour justifier des engagements, l’inertie devient la règle. Le défi du moment pour les décideurs est donc d’offrir des points d’ancrage de prévisibilité dans une mer d’incertitudes.
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