- Jimmy Jean
Vice-président, économiste en chef et stratège
Récession ou pas, l’économie subira les conséquences de la guerre commerciale
Y a‑t‑il une récession à l’horizon? Il s’agit de l’une des questions les plus fréquemment posées actuellement. Et c’est aussi l’une des questions pour lesquelles il y a le moins de clarté. Il y a encore quelques mois, les économistes et les marchés financiers s’accordaient largement à dire que les politiques commerciales de l’administration Trump – perturbatrices et fondamentalement en contradiction avec des décennies de libéralisation des échanges – orientaient l’économie américaine vers la contraction.
Cependant, la tendance du président à repousser l’application de ses mesures, à accorder des exemptions ou à revenir sur ses décisions les plus brutales a brouillé les cartes. Le risque de choc tarifaire prolongé, notamment en raison des effets de l’inflation et de son érosion du pouvoir d’achat des ménages, semble maintenant un peu réduit. Jusqu’à maintenant, les données concrètes, entre autres celles sur l’emploi et l’inflation, montrent que les dommages sont limités. Cela nous rassure un peu, mais il est trop tôt pour conclure que la divergence persistera entre les données liées à la confiance, qui s’est effondrée selon de nombreux indicateurs, et les données concrètes, qui montrent une certaine résilience.
Nous nous attendons à ce que la croissance de la demande intérieure américaine ralentisse jusqu’à s’arrêter au cours des prochains trimestres, mais aussi à ce que l’inflation réagisse graduellement à l’augmentation du taux effectif des tarifs douaniers, aux attentes inflationnistes plus élevées et à l’affaiblissement du dollar américain. Une hausse soutenue des prix de l’énergie suivant l’aggravation des tensions au Moyen‑Orient renforcerait cette tendance. Les risques de récession sont encore élevés, mais les États‑Unis ont terminé 2024 sur une bonne lancée, et il en faudra peut‑être plus pour faire basculer l’économie.
Récession ou non, c’est ce qui se produira à moyen terme qui nous préoccupe davantage. Les dommages les plus graves proviennent de l’incertitude chronique. Quand les règles changent constamment, que ce soit en matière de tarifs douaniers, d’immigration ou de fiscalité, cela paralyse la prise de décisions. Lorsque les entreprises pensent qu’un autre changement de politique est imminent, qu’il soit positif ou négatif, elles sont moins enclines à prendre des engagements. Elles repoussent l’embauche et les investissements. Dans un environnement en constante évolution, l’inertie devient la règle par défaut.
Et ajoutons à cela la perception grandissante selon laquelle il devient de plus en plus difficile d’exporter vers les États‑Unis ou d’y investir. Des mesures comme la section 899 du code fiscal américain, qui a été introduite par le projet de loi One Big Beautiful Bill Act présenté au Congrès, ciblent les investisseurs étrangers provenant de pays ayant des politiques fiscales « discriminatoires », ce qui témoigne d’un virage plus large vers l’utilisation de la fiscalité en tant que levier économique. Bien que les tarifs douaniers soient relativement impopulaires et qu’ils puissent faire l’objet de contestations juridiques, l’idée d’utiliser des instruments fiscaux pour faire pression sur les partenaires commerciaux montre qu’une posture ferme face aux étrangers reste politiquement attrayante pour les républicains du Congrès.
Parallèlement, l’escalade de la rhétorique d’expulsion risque de réduire le bassin de main‑d’oeuvre des États‑Unis, à un moment où le taux de chômage se rapproche déjà de ses creux historiques et où la population est vieillissante. Les attaques contre les institutions universitaires et scientifiques américaines de classe mondiale sont tout aussi troublantes. De telles atteintes n’auront pas d’incidence sur le PIB du prochain trimestre, mais elles révéleront plutôt leurs dégâts sur plusieurs décennies.
Au Canada, où l’hostilité américaine a été ressentie sur plusieurs fronts, les dommages économiques sont plus visibles. La volatilité commerciale s’est accrue et les premières données du deuxième trimestre confirment que les exportations nettes pèseront lourdement sur le PIB. L’emploi continue de ralentir dans les secteurs sensibles aux échanges internationaux, et les données sur l’inflation montrent des signes avant‑coureurs, quoique modestes, des effets des tarifs de représailles.
Malgré les récentes mesures d’allégement fiscal, le portrait macroéconomique demeure fragile. Le ralentissement de la croissance démographique, les renouvellements hypothécaires à des taux plus élevés et les marchés immobiliers chancelants de Toronto et de Vancouver laissent présager d’autres vents contraires intérieurs. Le PIB réel devrait demeurer faible tout au long de l’été, et une reprise à l’automne est plus probable. Le taux de chômage déjà en hausse dans les secteurs producteurs de biens pourrait se répercuter sur les services. Dans cette perspective, les risques de récession semblent plus élevés au Canada qu’aux États‑Unis, mais cela se joue à peu de choses. Plutôt que de se perdre dans un débat sémantique lié au « mot en R », mieux vaut voir les prochains mois comme un ralentissement – attribuable à la fois aux turbulences mondiales et aux pressions propres au Canada – qui pourrait être suivi d’un rebond graduel.
Les banques centrales font preuve d’une grande prudence. La Banque du Canada et la Réserve fédérale restent toutes deux vigilantes, non pas parce que l’inflation s’accélère de façon significative jusqu’à maintenant, mais parce que les attentes inflationnistes sont en hausse et que les entreprises semblent avoir la ferme intention de refiler des augmentations de coûts aux consommateurs. Après la pandémie, plusieurs entreprises ont découvert qu’elles pouvaient augmenter leurs prix, même lorsqu’elles n’avaient pas à le faire. Cela laisse présager la possibilité d’une nouvelle dynamique de prix, avec une majoration pouvant être opportuniste plutôt que simplement réactive, et les banques centrales ne veulent pas être une nouvelle fois accusées d’avoir minimisé ce risque.
Cela ne veut toutefois pas dire qu’elles n’ont pas la marge de manoeuvre nécessaire pour réduire les taux. Particulièrement au Canada, si l’élan s’affaiblit davantage, l’élargissement de l’écart entre la production et le plein potentiel exercera une pression supplémentaire à la baisse sur l’inflation. Avec un resserrement des conditions financières, alimenté par l’appréciation du dollar canadien et la hausse des taux d’intérêt de marché, les mesures budgétaires annoncées jusqu’à maintenant ne suffiront pas. Bien qu’ils arrivent à point, les allégements fiscaux sont toujours relativement modestes. Par ailleurs, aucun détail n’a encore été fourni sur la « pièce de résistance » budgétaire, notamment sur les projets d’infrastructures. Ceux‑ci ne devraient être véritablement lancés qu’en 2026, après la présentation du prochain budget.
Incertitude faite au Canada
Ce qui distingue la période actuelle, ce sont les conditions économiques, mais aussi l’environnement politique. Les élections fédérales de 2025 ont débouché sur un gouvernement libéral minoritaire qui est depuis passé à un programme plus explicitement favorable à la croissance. On semble avoir l’intention de « tirer profit d’une bonne crise », et nous avons vu l’adoption précipitée de certaines mesures législatives, le report du budget fédéral à l’automne 2025 – ce qui crée de l’incertitude quant à l’orientation budgétaire – et un changement de discours notable relativement à la politique commerciale : après avoir affiché une attitude ferme de type coup pour coup et s’être retourné vers l’Europe, le gouvernement a pris un ton plus conciliant à l’égard des États‑Unis.
Bien que ces décisions puissent avoir de solides assises stratégiques, elles contribuent à un sentiment général d’imprévisibilité quant à la vision globale du gouvernement, surtout qu’il s’écarte considérablement de l’approche adoptée par le même parti sous la direction précédente. La bonne nouvelle? Des signaux forts indiquent que le Canada est maintenant plus ouvert à « faire des affaires ». La mauvaise nouvelle? Si cela semble trop beau pour être vrai, c’est probablement le cas. Tôt ou tard, l’administration Carney, aux ambitions audacieuses, se heurtera à des obstacles familiers : pénuries de main‑d’oeuvre, résistance des syndicats, frictions politiques et contraintes juridictionnelles. Le véritable test pour ce gouvernement minoritaire sera la façon dont il réussira à surmonter ces embûches.
En fin de compte, à court terme, l’économie devrait piétiner, et cette conclusion est tirée sans tenir compte de la litanie de risques explorée dans le présent rapport. La cohérence des politiques demeurera insaisissable, les eaux resteront troubles et la prévisibilité, pierre angulaire d’une prise de décisions efficace, sera limitée. Nous nous attendons toujours à ce que les esprits s’apaisent et à ce que le ciel s’éclaircisse, mais pour l’instant, cette perspective repose davantage sur l’espoir que les incitatifs politiques s’aligneront pour produire un tel résultat que sur un quelconque signal ferme.
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