- Randall Bartlett
Directeur principal, économie canadienne
Le Canada à la croisée des chemins
L’imprévisibilité de la politique économique américaine sous l’administration Trump a engendré une volatilité extrême au sein des marchés financiers, en plus d’accroître l’incertitude chez les ménages et les entreprises. Malgré le sursis de 90 jours accordé sur les droits de douane « réciproques », des tarifs douaniers de 10 % s’appliquent toujours à tous les produits importés aux États‑Unis, et les principaux partenaires commerciaux de l’Oncle Sam ne sont pas encore sortis de l’auberge. Dans une escalade du conflit commercial entre les États‑Unis et la Chine, les importations américaines de biens chinois sont maintenant frappées de tarifs douaniers de 145 % (sauf, temporairement, certains produits électroniques). Les autorités chinoises ont réagi en augmentant eux aussi les tarifs sur les produits américains. Cette situation nuira de façon disproportionnée aux entreprises américaines les plus performantes, ce qui se reflète déjà dans leurs valorisations. Les tarifs douaniers vont aussi considérablement perturber le commerce international, exacerbant un repli économique mondial et augmentant le risque d’une récession à l’échelle du globe, gracieuseté des deux plus grandes économies de la planète. Les prix des matières premières ont fortement chuté en raison des craintes de recul de la demande mondiale, mais il ne s’agit peut‑être que du canari dans la mine de charbon.
Et alors, le Canada dans tout cela? Malheureusement, il subira les contrecoups économiques de tous les côtés. D’abord, il y a des tarifs à l’importation de 25 % sur l’acier, l’aluminium, certaines pièces automobiles et tous les produits non conformes à l’ACEUM (et ceux de 10 % sur l’énergie et la potasse). Il y a ensuite l’effet néfaste additionnel des tarifs de représailles sur la croissance, dont les conséquences inflationnistes risquent d’inciter la Banque du Canada (BdC) à ne pas réduire les taux d’intérêt de manière aussi importante que lors des récessions passées. Le recul des prix des produits de base compensera en partie cette poussée de l’inflation, tout comme l’élimination de la taxe sur le carbone Lien externe au site., même si la baisse des prix du pétrole fera reculer encore davantage la croissance. Tous ces éléments combinés risquent de mettre un frein aux plans d’investissement et d’embauche des entreprises dans l’avenir prévisible. C’est d’ailleurs ce que révèle l’Enquête sur les perspectives des entreprises de la BdC. Tout cela laisse entrevoir un marché du travail plus fragile. Ajoutons au tableau la perte de valeur de l’épargne des ménages dans les actifs financiers, et le contexte pourrait inciter les Canadiens et les Canadiennes à réduire leurs dépenses ou à repousser l’achat d’une propriété. L’économie canadienne pourrait connaître une récession (selon la définition) induite par la politique américaine au cours des prochains trimestres, un point de vue corroboré dans le plus récent Rapport sur la politique monétaire de la BdC.
Le Canada est à la croisée des chemins. La croissance a ralenti depuis la chute abrupte des prix du pétrole il y a une dizaine d’années, et les investissements directs étrangers se sont taris en conséquence. Malgré les bonnes intentions, les initiatives stratégiques subséquentes pour stimuler les investissements dans la fabrication de pointe, l’intelligence artificielle et d’autres domaines n’ont pas entraîné de hausse concrète de l’investissement, de la productivité, du PIB réel par habitant et du niveau de vie des Canadiens et des Canadiennes.
Une discussion est en cours sur l’orientation que le Canada devrait prendre en matière de politique économique. Parmi les principales propositions entendues, mentionnons celle d’offrir du soutien non seulement aux petites entreprises dans leur phase de démarrage, mais aussi à celles qui sont plus matures et qui veulent prendre de l’expansion. Pour y arriver, les recherches Lien externe au site. démontrent que l’impôt sur le capital devrait probablement être moins élevé. La réglementation doit être ciblée et aussi minime que possible pour atteindre les objectifs établis. Cela devrait s’appliquer non seulement aux projets d’exploitation des ressources, mais aussi au commerce à l’intérieur du Canada et à l’international avec d’autres pays que les États‑Unis. Les investissements publics devraient être orientés vers des projets tangibles dans les infrastructures soutenant le commerce, comme les routes, les chemins de fer, les ports et les aéroports. Si certains d’entre eux peuvent être comptabilités dans les dépenses militaires Lien externe au site. et contribuer à atteindre l’objectif de l’OTAN de 2 % du PIB, ce sera encore mieux. Il devrait aussi y avoir beaucoup plus d’ouverture à accepter l’investissement stable et à long terme des acteurs institutionnels, en particulier les caisses de retraite canadiennes. En même temps, notre système d’immigration devrait être en mesure d’accepter les gens les plus talentueux de la planète qui veulent vivre et travailler ici. Améliorer l’accès à des logements abordables et à la formation dans les métiers spécialisés pour avoir une main‑d’œuvre plus flexible décuplerait le potentiel économique à long terme du Canada. Et tout cela devrait s’accompagner d’un plan crédible de retour à l’équilibre budgétaire. En créant un environnement propice à la croissance, on s’assure d’avoir la capacité financière de soutenir les programmes sociaux et de relever les défis démographiques.
Yogi Berra a dit un jour : « Quand il y a une fourchette à un carrefour, prenez‑la. » Les politiques désordonnées et antagonistes de l’administration Trump ont mené le Canada à cette croisée des chemins. Nous n’avons d’autre choix que de la prendre – et de nous atteler à la tâche.
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