- Sonny Scarfone
Économiste principal
Les jeunes, les premiers à faire les frais de l’incertitude économique
Le contexte économique actuel est marqué par une croissance anémique, dans un environnement fragilisé par une guerre commerciale dont l’issue demeurait incertaine au moment d’écrire ces lignes. Le produit intérieur brut (PIB) réel a reculé en avril et en mai. Les dernières projections de la Banque du Canada, publiées ce mercredi, dressent le portrait d’une économie qui, au net, devrait stagner Lien externe au site. au cours des deuxième et troisième trimestres de l’année. Ce scénario concorde avec nos plus récentes prévisions Lien externe au site..
Sur le marché du travail, les signes d’essoufflement s’accumulent (nonobstant un rapport surprenant Lien externe au site. en juin) : l’emploi se concentre surtout dans des postes à temps partiel et dans les secteurs moins sensibles aux cycles économiques, ce qui témoigne d’un certain attentisme de la part des entreprises. Bien que des vagues de licenciements n’aient pas été observées, les employeurs, échaudés par les pénuries de main-d’œuvre des dernières années, font preuve d’une prudence accrue avant de revoir leurs effectifs à la baisse. Ce sont donc les embauches qui en pâtissent. Cette dynamique touche particulièrement un groupe : les jeunes en début de carrière, pour qui l’insertion professionnelle devient un parcours d’obstacles dans un marché de plus en plus exigeant.
En moyenne cet été, le taux de chômage chez les 15 à 24 ans s’est établi à un peu plus de 14 %. Ce niveau est en hausse par rapport à celui observé en 2022 et en 2023, mais il s’apparente à celui des années ayant précédé la pandémie. En examinant les données de plus près, on constate que la détérioration est plus marquée chez les jeunes de 20 à 24 ans, dont le taux de chômage dépasse les 11 % depuis l’été dernier. Hors pandémie, un tel niveau n’avait pas été observé de façon durable depuis la récession de 2009. En creusant davantage, on remarque que la situation est relativement plus difficile pour les étudiants de ce groupe d’âge : ceux inscrits dans un établissement scolaire au printemps dernier affichent à ce jour un taux de chômage de 14 %, un sommet hors pandémie qui remonte à 1993 alors que le pays se sortait toujours d’une longue récession (graphique 1).
Les cicatrices invisibles : le scarring effect
Ce constat est d’autant plus préoccupant qu’il s’inscrit dans un contexte où les effets à long terme d’une entrée sur le marché du travail en période de faibles débouchés sont bien documentés. Une étude empirique Lien externe au site. menée au Canada sur le phénomène du « scarring effect » (effet de cicatrisation, traduction libre) a montré que les jeunes diplômés qui commencent leur carrière en période de récession subissent des pertes de revenus annuels d’environ 9 % au départ. Cet écart se réduit de moitié après cinq ans, puis tend à se résorber complètement après une dizaine d’années. Néanmoins, cette période prolongée de rattrapage complique l’accumulation d’épargne et d’actifs, ce qui est d’autant plus regrettable lorsqu’on considère l’effet des intérêts composés, qui auraient pu s’appliquer sur plusieurs décennies à cette épargne non réalisée.
Plusieurs économistes avancent d’ailleurs que c’est en partie ce contexte économique moins favorable qui expliquerait pourquoi la génération X a eu plus de difficulté à accumuler des actifs au fil du temps, une hypothèse évoquée notamment dans une chronique Lien externe au site. dans The Economist (qui blâme également les faibles rendements boursiers lors des années 2000). Cela rappelle que les conditions d’entrée sur le marché du travail peuvent avoir des répercussions durables, même si elles ne sont pas nécessairement permanentes.
Des indices de changements plus structurels
Les difficultés actuelles pourraient dépasser le simple cycle économique canadien. Aux États-Unis, le taux de chômage des diplômés universitaires de 22 à 27 ans, une cohorte encore jeune, mais déjà dotée d’une certaine expérience, dépasse maintenant celui de l’ensemble des travailleurs. Si un tel renversement a déjà été observé récemment, jamais il n’avait atteint une telle ampleur depuis le début de la série. Comme l’illustre le graphique 2, l’écart s’est nettement creusé au cours des dernières années, remettant en question certaines dynamiques traditionnelles du marché du travail.
Certains se demandent si les difficultés actuelles pourraient être en partie attribuables aux développements technologiques récents, notamment l’essor de l’intelligence artificielle (IA). Dans un contexte de transformation rapide, il est plausible que certains échelons d’entrée dans plusieurs professions soient appelés à disparaître ou du moins à être redéfinis. Cela dit, il serait prématuré d’en faire le principal facteur explicatif. La montée du chômage chez les jeunes diplômés coïncide surtout avec la normalisation des postes vacants, dans un climat d’incertitude économique prolongée depuis la sortie de la pandémie (inflation, resserrement monétaire, tensions commerciales). Le ralentissement des embauches demeure le principal moteur de cette dynamique, touchant de manière disproportionnée les nouveaux arrivants sur le marché du travail. Le rôle précis de l’IA reste à clarifier, mais son développement rapide soulève déjà des questions sur les perspectives d’emploi dans certaines professions.
L’IA, un risque à surveiller
Les défis s’accumulent pour la relève et certains parcours d’insertion devront être repensés. À ce sujet, un article de fond Lien externe au site. du Wall Street Journal publié cette semaine offre une lueur d’optimisme : nous apprenons collectivement à mieux arrimer nos compétences humaines à l’IA. Une partie du travail répétitif pourra être automatisée, et les jeunes diplômés devront être prêts à intervenir plus en aval, pour raffiner, interpréter et bonifier ce que les machines et algorithmes mettent de l’avant. Cela redéfinira les attentes envers les nouveaux employés, qui seront plus productifs dès leur entrée en poste.
Cette nouvelle réalité comporte toutefois son lot de risques : précarité accrue, insécurité d’emploi, et nécessité plus fréquente de retours aux études pour s’adapter. Dans ce contexte, le rôle des gouvernements sera crucial pour accompagner la transition, que ce soit par des incitatifs à l’embauche, des appuis à la requalification ou d’autres formes de soutien ciblé. Il faudra naviguer avec soin dans cette période de transition afin d’atténuer les effets négatifs à long terme de ce point d’inflexion sur les cohortes plus récentes, qui, comme discuté plus tôt, risquent autrement de voir leur progression de carrière limitée, leur capacité d’épargne compromise, et leur satisfaction personnelle entamée.
Bien que l’éducation vise avant tout à former des citoyens, l’endettement souvent important contracté pour accéder aux études postsecondaires invite à repenser certaines attentes quant aux débouchés professionnels de certaines spécialisations.
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