- Mirza Shaheryar Baig
Stratège en devises étrangères
Des marchés « un peu nerveux »
Le 2 avril, les États‑Unis ont fait bondir le prix à payer pour participer au système commercial et financier international centré sur leur pays.
Jusqu’ici, ce système mené par les États‑Unis a favorisé une circulation relativement libre des biens et des capitaux au‑delà des frontières, malgré des règles du jeu inégales. Les entreprises ont recherché les moyens de production les plus efficaces, et les épargnants, les meilleurs rendements sur leurs investissements. Les transactions ont été compensées en dollars américains. Et le billet vert, en regard duquel la plupart des autres devises sont évaluées, a été au centre de ce système.
Le président Trump considère le déficit commercial américain comme une fuite de richesse. Cependant, la plupart des dollars qui « quittent » les États‑Unis par le biais du commerce sont recyclés dans les titres américains. Avant la crise de Lehman Brothers, ce recyclage était effectué principalement par des banques centrales de pays étrangers dont la devise est liée au dollar américain, comme la Chine. Récemment, les investisseurs privés ont pris le relais, attirés par la remarquable résurgence des États‑Unis depuis la COVID.
En d’autres termes, le déficit commercial des États‑Unis et les liquidités qui alimentent ses marchés financiers sont liés. Le lien de causalité peut être débattu – et il va probablement dans les deux sens –, mais l’essentiel à retenir est que réduire le déficit commercial revient à restreindre les liquidités qui rendent les marchés financiers américains uniques.
En 2024, les investisseurs privés étrangers ont acheté pour 500 G$ US d’obligations du Trésor américain, soit environ 40 % du total des émissions nettes, selon les données de ce dernier. Ils ont également acheté pour 430 G$ US d’actions américaines. Nous ne disposons pas de données sur le montant des ventes depuis le « jour de la libération », mais la liquidation des titres américains, y compris des bons du Trésor, a été substantielle. Les actions américaines ont généralement moins bien performé que les indices mondiaux, et le marché des titres du Trésor a connu une débâcle. La fuite des investisseurs étrangers s’est également fait sentir dans le déclin généralisé du dollar américain.
Alors que le président Trump semblait prêt à accepter la baisse des cours boursiers, la déroute du marché des titres du Trésor de cette semaine a précipité une volte-face. Les taux d’intérêt sur la dette des États‑Unis ont augmenté sur l’ensemble de la courbe, les obligations à long terme ayant mené la hausse et affiché une volatilité anormalement élevée. À un certain moment, le rendement des obligations à 10 ans a dépassé les 4,50 %, et les rendements à 30 ans ont atteint des sommets cycliques autour de 5,00 %.
Le président Trump a annoncé une pause de 90 jours, au cours de laquelle les tarifs réciproques seraient fixés à 10 % pour tous les pays – à l’exclusion la Chine, qui faisait l’objet de droits de 145 % au moment d’écrire ces lignes.
Nous croyons que les investisseurs tireront trois grandes leçons de tout cela.
Premièrement, le marché obligataire a de nouveau joué son rôle de régulateur du gouvernement. La vulnérabilité des États‑Unis en tant que débiteur a été révélée.
Deuxièmement, une pause de 90 jours n’est qu’une pause de 90 jours. Une incertitude commerciale exacerbée risque de perdurer, surtout en raison du manque de clarté sur l’issue des négociations bilatérales. En outre, même des tarifs douaniers moins élevés représentent un choc stagflationniste important pour l’économie américaine. Les indicateurs cycliques liés aux prix des matières premières, comme le ratio cuivre-or, continuent de pointer vers une récession, même après l’annonce du sursis de 90 jours.
Troisièmement, la Chine semble isolée pour le moment, mais on ne sait pas à quoi cela mènera. Si le pays est complètement exclu des marchés américains, le président Xi pourrait penser qu’il n’a plus grand‑chose à perdre. Il pourrait ordonner la vente de bons du Trésor américain (la Chine en possède pour 760 G$ US) ou même exercer de nouvelles pressions géopolitiques. Nous n’écartons pas non plus une résolution sans heurt – le président Trump pourrait encore faire la paix avec la Chine.
Dans tous les cas, nous ne croyons pas qu’une pause de 90 jours sur les tarifs réciproques permettra d’éviter une récession ni de rebâtir la confiance perdue du jour au lendemain. Les marchés pourraient rester « un peu nerveux » pour un bon moment encore.
Contactez nos économistes
Par téléphone
Montréal et environs :
514 281-2336 Ce lien lancera votre logiciel de téléphonie par défaut.