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Commentaire hebdomadaire

Que penser du One Big Beautiful Bill Act?

13 juin 2025
Francis Généreux
Économiste principal

La pièce maîtresse de l’agenda fiscal et budgétaire du président Trump a été adoptée il y a quelques semaines par la Chambre des représentants du Congrès américain. Ce projet de loi mastodonte de 1 038 pages n’est toutefois pas encore final, car il est maintenant dans les mains des sénateurs. Ceux-ci peuvent l’adopter comme tel, mais ils peuvent aussi l’amender et en modifier de grands pans. Certains sénateurs républicains ont déjà indiqué être mal à l’aise avec certaines dispositions du projet des représentants. Afin d’éviter qu’une supermajorité du Sénat soit nécessaire à son adoption (ce qui demanderait des voix démocrates), ils devront toutefois demeurer à l’intérieur de contraintes budgétaires spécifiques pour pouvoir profiter d’un processus parlementaire dit de réconciliation. Le but avoué des républicains était de pouvoir transmettre le One Big Beautiful Bill Act (OBBBA) au président Trump avant la fête nationale du 4 juillet pour qu’il puisse y apposer sa signature, ce qui en fera une loi officielle des États‑Unis.

 

« Big »

 

Que retrouve-t-on dans ce projet de loi? Ce n’est pas pour rien qu’il y a le mot « Big » dans son nom et il y a évidemment de très nombreuses mesures incluses dans l’OBBBA. Certaines ont des répercussions économiques ou budgétaires significatives alors que plusieurs autres ont une portée plus limitée. On y retrouve surtout plusieurs des principales promesses formulées par Donald Trump lors de la campagne électorale avec, en premier lieu, le prolongement des baisses d’impôts de 2017 (qui, sinon, se termineront à la fin de décembre prochain). Pour les particuliers, il y a de nouvelles déductions pour les personnes âgées, pour les travailleurs à pourboire et pour les travailleurs qui font des heures supplémentaires, en plus d’une nouvelle déduction sur l’intérêt sur les prêts automobiles. Il y a aussi la création d’un programme appelé TRUMP Accounts (c’est le nom donné par le projet de loi), qui prévoit que le gouvernement fédéral déposera 1 000 $ US pour chaque compte ouvert dans la première année d’un bébé. Les parents pourront y déposer un maximum de 5 000 $ US par année et, à terme, les sommes devront servir aux études, à l’achat d’une première maison ou à la création d’une entreprise.

 

Pour les entreprises, les principales mesures sont la remise en place d’un amortissement immédiat à 100 % pour les investissements en machines et équipements et en technologies, une augmentation de la déduction de base pour les petites entreprises et la création d’un nouveau crédit d’impôt pour les entreprises embauchant des citoyens américains dans des zones à fort taux de chômage. Une des promesses électorales de Donald Trump, soit une nouvelle baisse du taux d’imposition sur le revenu des sociétés de 21 % à 15 %, n’a pas été retenue par les représentants.

 

Évidemment, ces mesures représentent des manques à gagner budgétaires importants pour le Trésor américain. Il y a donc certaines mesures visant à en alléger le fardeau qui sont incluses. Parmi celles-ci, on retrouve l’élimination graduelle de crédits d’impôt et de mesures fiscales liées aux politiques du président Biden, notamment l’Inflation Reduction Act. Les conditions d’admissibilité pour le programme Medicaid, pour les subventions à l’assurance maladie (Obamacare) et pour l’aide alimentaire sont nettement resserrées. Plusieurs programmes d’aide deviendront inaccessibles aux non-citoyens. Un nouveau plafond pour la déduction fédérale sur le paiement de taxes aux États et localités amènera aussi plus de sommes à Washington. L’OBBBA crée aussi une taxe de 3,5 % sur les transferts de fonds vers l’étranger (souvent effectués par les travailleurs immigrants).

 

Plusieurs types de dépenses fédérales sont aussi réduites, notamment au sein de départements déjà visés par des coupes de l’administration Trump et du fameux DOGE. Ces dépenses sont généralement liées à la lutte contre les changements climatiques, à la gestion de la réglementation environnementale ou des terres fédérales. À l’inverse, d’autres dépenses sont augmentées, notamment du côté de la sécurité intérieure et de la défense.

 

Une « abomination répugnante » ou « l’un des meilleurs projets de loi jamais présentés au Congrès »?

 

Ces deux commentaires, le premier d’Elon Musk sur X et le deuxième du président Trump sur Truth Social, représentent bien l’étendue du clivage des opinions que provoque l’OBBBA, et ce, seulement au sein de la droite politique. L’opposition de Musk repose surtout sur le coût budgétaire, qui, selon lui, réduit à néant les efforts de baisses des dépenses du DOGE. Évidemment, les démocrates s’opposent aussi vivement à ce projet de loi, l’attaquant notamment sur les coups portés au programme Medicare afin de payer pour des baisses d’impôts qui profiteront surtout aux Américains aisés.

 

Ces deux critiques reposent sur plusieurs analyses d’organismes indépendants récemment publiées. Par exemple, le Congressional Budget Office (CBO) estime que l’OBBBA comme adopté par les représentants augmenterait les déficits Lien externe au site. d’un total de 2 416 G$ US sur dix ans, auxquels s’ajouteraient 551 G$ US en coût supplémentaire d’intérêt sur la dette Lien externe au site. sur le même horizon. Toujours selon le CBO, les mesures du projet de loi entraîneraient une augmentation de 10,9 millions de personnes sans assurance maladie Lien externe au site. (notamment à cause des restrictions du programme Medicaid). Finalement, l’organisme estime aussi que l’OBBBA amènerait une ponction équivalente à 3,9 % du revenu des ménages moins fortunés (décile inférieur) et une augmentation équivalente à 2,3 % du revenu des plus fortunés (décile supérieur). Par des coupes dans les programmes sociaux et par les baisses d’impôts, l’OBBBA amplifierait donc la disparité des revenus et de la richesse Lien externe au site. au sein de l’économie américaine.

 

Cette loi que le président Trump désire tant risque donc d’avoir certaines conséquences négatives, mais qu’en est-il de la croissance économique? Le CBO n’a pas encore publié d’analyse sur les effets économiques du projet de loi. D’autres organismes indépendants d’analyse macroéconomique se sont cependant prêtés à l’exercice. Le Joint Committee on Taxation Lien externe au site. du Congrès estime que le niveau de PIB réel serait de 0,4 % plus élevé grâce à l’OBBBA au bout de l’horizon de dix ans. Le Penn Wharton Budget Model Lien externe au site. y voit une hausse semblable, tandis que le Tax Foundation Lien externe au site. estime une croissance plus forte, pour un niveau 0,8 % plus élevé au bout de dix ans. Le Budget Lab de Yale Lien externe au site. entrevoit aussi un effet positif à court terme, mais négatif à plus long terme (à cause de la lourdeur de la dette). Nous supposons aussi une impulsion sur la croissance, notamment en 2026, mais celle-ci n’est pas très différente de ce sur quoi nous tablions déjà comme conséquences des promesses électorales de Donald Trump et qui sont intégrées dans nos scénarios économiques depuis novembre dernier. Notons que toutes ces estimations contrastent avec le positivisme du Council of Economic Advisers Lien externe au site. de la Maison‑Blanche. Les conseillers économiques du président Trump prévoient que la croissance du PIB réel serait de 4,2 % à 5,2 % plus élevée au cours des quatre prochaines années et de 2,9 % à 3,5 % à long terme.

 

Et la dette… et son plafond?

 

Alors que la situation budgétaire du gouvernement fédéral américain n’était déjà pas très enviable, le coût de l’OBBBA semble énorme. Selon le CBO, le projet de loi ferait passer la dette fédérale détenue par le public de 99,9 % du PIB en 2025 à 123,8 % en 2034. Il faut aussi ajouter que plusieurs des mesures fiscales contenues dans l’OBBBA ont une assez courte échéance et ne vont pas au-delà de 2028. Prolonger ces mesures Lien externe au site. comme il est maintenant proposé de le faire pour celles de 2017 ajouterait aux déficits et à la dette (qui passerait à 127,7 % du PIB en 2034).

 

Malgré la hausse implicite de 3 000 G$ US sur dix ans des déficits qui s’ajoutent à des manques à gagner déjà prévus d’environ 21 000 G$ US, l’OBBBA ne prévoit pas d’augmentation équivalente du plafond légal de la dette (qui, rappelons-le, a été atteint en janvier dernier, le Trésor utilisant depuis des mesures alternatives de financement). Le relèvement du plafond dans le projet des représentants n’est que de 4 000 G$ US. Cela risque de pourvoir à seulement quelques années de déficits. Le psychodrame du relèvement du plafond de la dette risque de revenir hanter la conjoncture d’ici l’élection de 2028.

 

La Maison‑Blanche ne voit cependant pas l’OBBBA comme une fin en soi. D’autres facteurs pourraient venir réduire les déficits prévus, en premier lieu les tarifs issus de la politique commerciale du président Trump. Celle-ci demeure changeante et l’on ne sait pas encore si les tarifs de réciprocité qui avaient été annoncés en avril reviendront en force. D’autres mesures protectionnistes risquent aussi d’être annoncées et, à l’opposé, des ententes bilatérales pourraient également être conclues (bien que l’on soit bien loin des 90 « deals » en 90 jours espérés!). Le CBO estime que les tarifs pourraient réduire les déficits Lien externe au site. de 2 800 G$ US sur dix ans, soit pratiquement le coût de l’OBBBA. Cela suppose toutefois que les tarifs tels qu’ils étaient à la mi-mai resteraient en place sur tout l’horizon de prévision. Cela dit, les droits de douane perçus en réalité en avril (16,3 G$ US) et en mai (22,8 G$ US) par le gouvernement fédéral laissent supposer que les entrées d’argent pourraient être moindres que prévu si, comme anticipé, le volume d’importations s’ajuste à la baisse.

 

L’administration Trump propose aussi d’autres compressions dans le budget de dépenses fédérales en utilisant le processus de rescisions, lesquelles visent à diminuer le financement déjà accordé par le Congrès. Un projet de loi en ce sens fait présentement son chemin au Congrès et vise les coupes, souvent proposées par le DOGE, dans le Département d’État (aide internationale) et dans le financement de la « Corporation for Public Broadcasting ». Les sommes épargnées seraient cependant minces, soit seulement 9,3 G$ US. D’autres coupes de ce genre, mais plus importantes pourraient cependant survenir plus tard.

 

D’autres facteurs pourraient toutefois faire mal tourner les choses et les risques en ce sens sont élevés. On sent déjà une certaine nervosité du marché obligataire envers tout cet endettement supplémentaire. Les investisseurs peuvent aussi être déçus du manque de réelle volonté de s’attaquer au déséquilibre des finances publiques alors que les républicains majoritaires s’attardent plus à mettre en place de nouveaux assouplissements fiscaux qu’à réduire les déficits. Les perceptions des investisseurs étrangers envers les États‑Unis ont aussi été mises à mal par la politique protectionniste du président Trump. À cet égard, l’OBBBA dresse un nouvel obstacle, avec des modifications suggérées à l’impôt envers les étrangers (Section 899) qui permettraient au gouvernement, en représailles contre des pratiques fiscales discriminatoires des autres pays, d’imposer une taxe supplémentaire aux personnes, sociétés et gouvernements étrangers sur leurs revenus passifs (dividendes, intérêts, redevances, gains en capital, etc.). Ces éléments pourraient amener des taux d’intérêt plus élevés que prévu et augmenteraient le coût du service de la dette fédérale, tout en nuisant à la croissance économique.

 

« Beautiful »?

 

En conclusion, le One Big Beautiful Bill Act (qui peut encore changer) ne règle pas grand-chose de ce qui cloche au sein de l’économie américaine. Puisqu’une grande partie de son coût repose sur la poursuite de politiques déjà en place (les baisses d’impôts de 2017), son effet macroéconomique demeure modeste, mais l’ampleur des déficits reste énorme. Le gouvernement met aussi complétement de côté les enjeux de disparités des revenus, d’accès aux soins de santé, de transition énergétique et de développement international. Il propose des baisses d’impôts qui ne semblent pas nécessaires, même si certaines des mesures touchant les entreprises pourraient aider celles-ci à investir malgré l’incertitude ambiante. À moins que les tarifs n’amènent vraiment beaucoup de sommes dans les coffres fédéraux, la dette augmentera de façon importante. Cela continuera d’inquiéter les investisseurs, notamment internationaux, qui se posent déjà des questions sur la résilience de l’économie, sur la solidité des institutions américaines, sur le rôle de valeur refuge du billet vert et sur le réel degré d’ouverture envers les investissements étrangers.

 

NOTE : Les hyperliens sont disponibles en anglais seulement.

Lire la publication Indicateurs économiques de la semaine du 18 au 22 juillet 2022

Consultez l'étude complète en format PDF.

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