Choisir vos paramètres

Choisir votre langue
Commentaire hebdomadaire

Le Canada a besoin d’une véritable révolution en matière d’investissement privé

17 octobre 2025
Jimmy Jean
Vice-président, économiste en chef et stratège

Depuis son arrivée au pouvoir en mars dernier, le gouvernement de Mark Carney a agi avec une rapidité remarquable, déployant un éventail de politiques industrielles et de mesures d’intervention en situation de crise. Le Bureau des grands projets fera avancer les projets d’intérêt national. Les politiques d’approvisionnement « Acheter canadien » visent à soutenir les fournisseurs nationaux. Le Fonds de réponse stratégique de 5 G$ cible les secteurs touchés par les tarifs douaniers. Les mesures de liquidité aident les entreprises à surmonter les perturbations commerciales. Sous l’élan des mesures du secteur public se cache une question fondamentale : créer les conditions nécessaires à l’investissement privé, véritable moteur de la croissance de la productivité et de la résilience économique.

 

Cinq ans de stagnation de la productivité

 

Les chiffres sont stupéfiants. Le Canada se classe parmi les derniers au sein de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) en matière d’investissement privé par travailleur. La productivité du secteur des affaires stagne essentiellement depuis six ans. Les investissements dans l’innovation Lien externe au site., la machinerie et le matériel sont demeurés décevants, contrairement aux États‑Unis où les dépenses en capital liées à l’intelligence artificielle contribuent fortement à l’investissement global des entreprises.

 

Il faut reconnaître que, peu après son arrivée au pouvoir, le gouvernement Carney a pris la décision d’annuler la hausse prévue de la taxe sur les gains en capital. Il a entre autres maintenu les crédits d’impôt à l’investissement pour les technologies propres et bonifié les encouragements fiscaux pour la recherche scientifique et le développement expérimental. Sur papier, la structure des incitatifs paraît convenable. En pratique, toutefois, les résultats ne sont pas au rendez-vous.

 

Une boîte à outils désordonnée

 

Le problème ne réside pas dans les mesures en vigueur, mais plutôt dans la manière dont elles sont perçues. Ce qui pourrait faire évoluer les perceptions, c’est la stabilité des politiques, leur pérennité et un signal clair que le rôle du gouvernement est de lever les obstacles, non pas de choisir des gagnants.

 

Le régime canadien d’amortissement est un bon exemple. Il y a environ un an, Ottawa annonçait une mesure de passation en charges intégrale à caractère permanent, mais limitée à certains actifs, notamment dans les technologies propres et la fabrication. Bien qu’il s’agisse d’un pas dans la bonne direction, on est encore loin d’une stratégie globale de récupération des coûts en capital. Même les secteurs qui profitent de la passation en charges intégrale restent tributaires du maintien de cette mesure par les gouvernements à venir. Autrement dit, le Canada a mis au point un incitatif en apparence attrayant, sans toutefois offrir la stabilité que les entreprises recherchent.

 

Cela contraste avec les États‑Unis, où la passation en charges immédiate est non seulement élargie, mais est devenue permanente en vertu du One Big Beautiful Bill Act. Lien externe au site. Pour les entreprises qui prennent des décisions d’affectation du capital sur plusieurs années, et en particulier celles qui ont la possibilité d’investir d’un côté ou de l’autre de la frontière, ces distinctions sont loin d’être négligeables.

 

Les incitatifs existent – là n’est pas le problème. Le Canada offre un éventail de mesures fédérales et provinciales qui peuvent, dans certains cas, se révéler généreuses. Mais pour plusieurs entreprises, ces mesures de soutien sont fragmentées, temporaires ou sectorielles. La nature cloisonnée de ces programmes diminue leur efficacité, non seulement parce qu’ils deviennent complexes à naviguer et à gérer, mais aussi parce qu’ils ne démontrent pas toujours des résultats clairs et mesurables.

 

Cette tension s’est manifestée dans le budget 2025 du Québec, qui a considérablement réduit et regroupé les crédits d’impôt dans un souci de simplification et de rigueur budgétaire. Même si le gouvernement a défendu cette décision en invoquant des raisons d’efficacité, le véritable enjeu tient peut-être moins au nombre de mesures incitatives qu’à leur conception et à leur capacité à soutenir durablement les investissements privés. Le gouvernement fédéral pourrait tirer des leçons de cette situation.

 

Il ne faut pas couler dans le béton un système fragmenté

 

Ottawa a récemment annoncé que certaines dépenses fiscales seraient désormais comptabilisées comme des investissements dans le prochain budget, transformant ainsi les principaux programmes de mesures incitatives en investissements inscrits au bilan. Cela impose des exigences accrues en matière de reddition de comptes. Avant de graver ces programmes dans le marbre budgétaire, le gouvernement devrait d’abord procéder à une analyse complète de leur efficacité. Certains programmes peuvent être généreux et bien ciblés, alors que d’autres sont fragmentés, désuets ou d’une efficacité incertaine. Si ces dépenses doivent être traitées comme des investissements, alors une évaluation rigoureuse (notamment en ce qui concerne leur rendement économique, leur incidence sur la productivité et leur effet d’entraînement) devrait être le point de départ plutôt qu’une réflexion secondaire.

 

Une mise de fonds n’est pas une stratégie

L’accent mis par le gouvernement Carney sur les mégaprojets d’infrastructure et les mesures sectorielles en réponse aux défis posés par les tarifs douaniers américains devrait vraiment être interprété comme une mise de fonds pour bâtir quelque chose de beaucoup plus complet, et non une solution en soi. Oui, le Canada a besoin de meilleures infrastructures et de réponses intelligentes aux chocs commerciaux. Mais si l’objectif est l’augmentation de l’investissement par travailleur et la stimulation de la productivité, les dépenses publiques à elles seules ne suffiront pas. L’essentiel de l’effort doit venir de l’investissement privé.

 

L’exemple européen peut éclairer la réflexion canadienne. Dans son rapport sur la compétitivité de 2024, Mario Draghi a conclu que l’Union européenne avait besoin d’environ 800 G€  d’investissements supplémentaires par an, dont 80 % devraient provenir du secteur privé. Ses recommandations portaient principalement sur l’élimination des obstacles : une réglementation allégée, des approbations plus rapides et la réduction des entraves au commerce intérieur. Le Canada a également amorcé des démarches similaires, mais il faut maintenant intensifier les efforts pour sortir l’investissement privé de sa torpeur :

 

  1. Ancrer durablement la compétitivité du régime fiscal. Rendre les mesures incitatives à l’investissement permanentes et accessibles à grande échelle. Le Canada devrait non seulement maintenir et renforcer les dispositions relatives à la passation en charges intégrale, mais aussi les étendre à toutes les entreprises afin d’assurer la compétitivité de son régime fiscal par rapport à celui des États‑Unis.
  2. Simplifier le cadre réglementaire. Le principe « Un projet, une évaluation » est un bon départ, mais les PME ont aussi besoin d’un répit. Le poids croissant des obligations réglementaires est un véritable obstacle à l’expansion et à la prise de risques. Selon une étude de Statistique Canada, le fardeau de la réglementation des entreprises a augmenté de 37 % entre 2006 et 2021. Ce surcroît de contraintes réglementaires expliquerait un niveau d’investissements des entreprises en 2021 inférieur de 9 % à ce qu’il aurait été dans un scénario contrefactuel sans cette hausse.
  3. Maintenir un effort constant pour lever les barrières au commerce interprovincial. La tendance actuelle est prometteuse, mais le test décisif sera de savoir si les coûts et les frictions d’exploitation entre les provinces diminuent réellement, permettant ainsi au commerce interprovincial de prospérer. À la différence des politiques protectionnistes nationales, les barrières commerciales interprovinciales sont souvent involontaires et constituent un simple sous-produit de la fragmentation de la politique réglementaire. Au-delà de l’urgence conjoncturelle de cette année, les gouvernements devraient s’engager à développer une véritable culture de réduction des obstacles. Cela pourrait passer par un mécanisme permanent qui ferait de la réduction des barrières une démarche continue.
  4. Améliorer la visibilité sur l’offre de main-d’œuvre. Le gouvernement a récemment exprimé sa volonté d’attirer la main-d’œuvre qualifiée touchée par les changements apportés aux visas américains H‑1B. Cette volonté contraste avec la réduction du nombre d’admissions de résidents permanents et la baisse marquée des étudiants étrangers admis, deux voies fiables pour répondre aux besoins des entreprises canadiennes en main-d’œuvre qualifiée. Ce manque de cohérence nuit à la confiance nécessaire aux entreprises pour investir dans leur expansion et dans la modernisation des outils utilisés par leur main-d’œuvre.
  5. Faire de l’investissement privé le pilier de la stratégie. Le gouvernement doit montrer clairement qu’il mise sur les investissements du secteur privé comme principal moteur de la progression de la productivité et de la résilience économique, et non uniquement sur les investissements publics.

 

Passer de la parole aux actes

 

Le budget fédéral du 4 novembre offre l’occasion de passer à une autre étape. Plutôt que de s’en tenir à des éléments de discours de campagne ou de mettre de l’avant de nouvelles structures bureaucratiques, Ottawa pourrait se concentrer à poser des gestes concrets pour créer un environnement où les entreprises peuvent investir en toute confiance, se moderniser, attirer les meilleurs talents, adopter de nouvelles technologies et être habitées par une volonté de se surpasser. Le gouvernement Carney a fait preuve de beaucoup d’ambition. Il est maintenant temps de rendre cette attitude contagieuse.

Lire la publication Indicateurs économiques de la semaine du 18 au 22 juillet 2022

Consultez l'étude complète en format PDF.

NOTE AUX LECTEURS : Pour respecter l’usage recommandé par l’Office québécois de la langue française, nous employons dans les textes, les graphiques et les tableaux les symboles k, M et G pour désigner respectivement les milliers, les millions et les milliards. MISE EN GARDE : Ce document s’appuie sur des informations publiques, obtenues de sources jugées fiables. Le Mouvement Desjardins ne garantit d’aucune manière que ces informations sont exactes ou complètes. Ce document est communiqué à titre informatif uniquement et ne constitue pas une offre ou une sollicitation d’achat ou de vente. En aucun cas, il ne peut être considéré comme un engagement du Mouvement Desjardins et celui-ci n’est pas responsable des conséquences d’une quelconque décision prise à partir des renseignements contenus dans le présent document. Les prix et les taux présentés sont indicatifs seulement parce qu’ils peuvent varier en tout temps, en fonction des conditions de marché. Les rendements passés ne garantissent pas les performances futures, et les Études économiques du Mouvement Desjardins n’assument aucune prestation de conseil en matière d’investissement. Les opinions et les prévisions figurant dans le document sont, sauf indication contraire, celles des auteurs et ne représentent pas la position officielle du Mouvement Desjardins.