- Randall Bartlett
Économiste en chef adjoint
Le flou entourant le budget risque d’éroder la crédibilité financière du gouvernement fédéral
La semaine dernière, le nouveau premier ministre canadien a annoncé qu’il n’y aurait pas de budget 2025 avant l’automne. Cette affirmation faisait suite à des messages contradictoires du ministre des Finances quant à savoir s’il s’agirait d’un budget complet ou seulement d’une mise à jour de mi-année. Ce sera la première fois qu’on ne dépose pas de budget printanier au Canada depuis au moins 1968, exception faite de l’après-11 septembre et de la pandémie. Et même dans ces situations, un budget d’urgence avait été adopté soit avant (le « budget de sécurité » de décembre 2001), soit peu après (le Portrait économique et budgétaire de juillet 2020).
La décision du gouvernement du Canada de ne pas publier de budget au printemps est étonnante compte tenu de l’ampleur des engagements électoraux. La plateforme électorale de 2025 du Parti libéral du Canada contenait plus de 100 nouvelles mesures totalisant environ 130 G$ en nouvelles dépenses et en réductions d’impôt. Au-delà des 20 G$ générés par les tarifs de représailles, les nouveaux revenus et nouvelles économies ont été estimés à seulement 32 G$ et proviennent d’une « augmentation des sanctions et des amendes » ainsi que d’« économies engendrées par l’augmentation de la productivité du gouvernement » – des éléments plutôt vagues. Et même si ces revenus se concrétisaient, les déficits fédéraux resteraient plus importants d’environ 20 G$ par année en moyenne au cours des quatre prochaines années par rapport aux prévisions publiées dans l’Énoncé économique de l’automne 2024 (graphique 1).
Avec ces hypothèses optimistes, le ratio de la dette au PIB est appelé à grimper (graphique 2). Par ailleurs, la performance de l’économie canadienne pourrait très bien être moindre que dans les perspectives économiques du Directeur parlementaire du budget utilisées pour chiffrer la plateforme électorale, puisque les risques sont fortement orientés à la baisse (voir nos Prévisions économiques et financières Lien externe au site. de mai 2025 publiées hier). Le déficit de l’exercice 2024‑2025 devrait également être plus important que prévu pendant les élections de 2025. Ainsi, si le gouvernement fédéral met en œuvre sa plateforme électorale, le ratio de la dette au PIB pourrait aisément augmenter davantage que ce qui est prévu actuellement.
Les plateformes électorales fédérales contenaient des prévisions de déficit, mais pas de projections de la dette. Ainsi, les Canadiens et les Canadiennes sont dans l’incertitude quant aux conséquences de l’explosion des déficits sur l’encours de la dette, dont le coût sera assumé par les contribuables d’aujourd’hui et de demain. Et sans la publication d’une stratégie de gestion de la dette, les marchés ne peuvent qu’essayer de deviner la valeur et les échéances des titres que le gouvernement fédéral émettra au cours de l’exercice 2025‑2026. Selon notre analyse, les émissions brutes estimatives pour l’exercice en cours seraient bien supérieures à 600 G$, mais personne ne le sait avec certitude (graphique 3).
Le retard dans la publication d’un plan budgétaire complet introduit une certaine opacité, à un moment où les marchés mondiaux sont susceptibles de scruter les bilans des États. Le gouvernement du Canada risque donc de voir sa cote de crédit révisée à la baisse. L’agence de notation Fitch a soulevé cette préoccupation avant même l’annonce qu’il n’y aurait pas de budget ce printemps. Cela fait suite à la décote de la dette américaine par Moody’s à la fin de la semaine dernière.
Le précédent gouvernement fédéral a souvent été critiqué, à juste titre, pour avoir régulièrement raté ses « cibles budgétaires ». Mais le gouvernement actuel ne sent apparemment pas le besoin de publier des prévisions de déficit et de dette en temps opportun, encore moins des cibles budgétaires. Cette situation est inquiétante. D’autant plus que le gouvernement fédéral envisage d’adopter une loi qui réduira les impôts et augmentera les dépenses sans donner aux parlementaires et à la population une idée de ce que ces choix signifient pour le solde budgétaire.
Le Canada se trouve à un moment unique de son histoire, où des menaces économiques exceptionnelles provenant du sud de la frontière appellent des mesures exceptionnelles – mais aussi une transparence et une reddition de comptes exceptionnelles. Le report du budget de 2025 à l’automne ne va pas dans ce sens. Et c’est la crédibilité financière du gouvernement du Canada, si durement acquise, qui pourrait être en jeu.
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