- Jimmy Jean
Vice-président, économiste en chef et stratège
Une occasion pour Macklem de prendre les devants
De façon générale, les marchés s’attendent à ce que la Banque du Canada (BdC) maintienne le statu quo le 4 juin prochain et qu’elle reporte la prochaine baisse de taux à juillet. Cet échéancier pourrait être trop prudent. Le gouverneur Macklem a adopté un ton légèrement ferme dans ses entrevues après le sommet du G7 de Banff, mais les risques baissiers pour la croissance ainsi que le contexte inflationniste changeant pourraient nécessiter une action plus vive. Voyons les raisons qui nous incitent à croire que la BdC recommencera à assouplir le taux directeur la semaine prochaine.
Premièrement, la récente poussée de l’inflation fondamentale semble plus bénigne qu’à première vue. La publication des chiffres de l’IPC en avril a amené les marchés à cesser d’anticiper une baisse en juin, en raison de la hausse notable des mesures de l’inflation fondamentale privilégiées de la BdC. L’accélération provenait toutefois d’un ensemble restreint de composantes : les loyers, après plusieurs mois de faiblesse, et les tarifs aériens, qui sont notoirement volatils et inconstants d’une saison à l’autre. Nous soupçonnons que ces variations n’indiquent pas le début d’une dynamique durable de hausses de prix dans ces catégories. Les prix des biens visés par les tarifs de représailles du Canada ont certes enregistré des hausses, mais celles-ci pourraient être passagères (nous y reviendrons.) L’élimination de la taxe sur le carbone pourrait également avoir joué un rôle si les fournisseurs de services publics ont profité de la baisse de taxe pour hausser les prix, comme certaines données le suggèrent. Puisque les mesures de l’inflation fondamentale excluent les taxes indirectes, elles refléteraient la hausse de prix implicite, mais non l’allégement fiscal correspondant. C’est pourtant l’effet combiné qui compte véritablement – autant pour ce que les consommateurs paient aujourd’hui, que pour leurs attentes inflationnistes. Il est donc peu probable que cette particularité technique influence les attentes de façon marquée. Cela signifie, ironiquement, que la BdC devrait probablement faire abstraction du bruit qui affecte actuellement ses mesures d’inflation fondamentale.
Deuxièmement, un dollar canadien plus fort donne plus de latitude à la BdC pour soutenir la croissance. Le huard a gagné un peu plus de 3 % depuis le début de l’année et devrait s’apprécier encore un peu au second semestre. Cette situation devrait contribuer à atténuer légèrement les effets inflationnistes des droits de représailles, bien qu’elle représente également un frein supplémentaire aux exportations. Dans la mesure où les marchés ne l’attendent pas, une baisse de taux la semaine prochaine pourrait refroidir quelque peu le huard et offrir un répit modeste aux exportateurs, sans pour autant modifier significativement la trajectoire de l’inflation.
Troisièmement, les perspectives inflationnistes liées aux tarifs de représailles appellent un optimisme prudent. Comme les exemptions en vertu de l’ACEUM maintiennent le taux effectif des tarifs bas pour le Canada, le gouvernement Carney n’a plus autant besoin d’imposer de nouvelles contre-mesures musclées. Jusqu’à présent, Ottawa a imposé des droits de douane sur environ 60 G$ de biens américains, et a utilisé la même approche que Washington pour ce qui est de l’industrie automobile. Toutefois, une partie de ces mesures a déjà été mise sur pause pour six mois afin d’éviter de perturber les chaînes d’approvisionnement. Si les futures décisions de politique commerciale touchant le Canada demeurent difficiles à prévoir, le ton entre Ottawa et Washington s’est adouci au cours des dernières semaines. Les obstacles judiciaires rencontrés cette semaine par la politique commerciale de Trump pourraient peut-être aussi favoriser une entente. Par conséquent, la probabilité que le Canada impose des barrières sur l’intégralité de sa liste de 185 G$ de biens présentée plus tôt cette année a diminué.
Quatrièmement, bien que les risques extrêmes pour la croissance et l’inflation se soient atténués, les voyants de l’économie canadienne sont loin d’être au vert. Deux de ses trois plus grands marchés de l’habitation s’affaiblissent, avec des inscriptions en hausse et des prix de plus en plus sous pression. La croissance démographique, qui a été un important moteur économique au cours des deux dernières années, ralentit à mesure que les politiques visant à restreindre le nombre de résidents temporaires se resserrent. Pour les ménages vulnérables financièrement, notamment ceux ayant un prêt hypothécaire à taux variable, les renouvellements à un taux d’intérêt plus élevé représentent un poids de plus en plus lourd. Pendant ce temps, plusieurs gouvernements provinciaux ont signalé leur intention de freiner considérablement la croissance des dépenses par habitant en réponse aux pressions budgétaires croissantes. Le cumul de ces forces pèse déjà sur la consommation par habitant, qui a à peine avancé au premier trimestre. L’investissement des entreprises, habituellement le premier à écoper en période d’incertitude accrue, devrait se replier après la résilience artificielle du premier trimestre, résultat d’un empressement à devancer l’application des tarifs. Les pertes d’emplois s’accumulent dans la fabrication, et l’appétit pour l’embauche faiblit dans d’autres secteurs. Nous nous attendons toujours à ce qu’une légère récession au Canada ait commencé ce trimestre, ce qui renforce la nécessité d’adopter des mesures pour atténuer les pressions exercées sur les segments de l’économie sensibles aux taux d’intérêt et au commerce.
Cinquièmement, la BdC a encore de la marge de manœuvre pour assouplir les taux. Comme le taux neutre est estimé entre 2,25 % et 3,25 %, un retranchement de 25 points de base la semaine prochaine laisserait le taux directeur toujours en territoire neutre. Cette décision serait justifiée par un équilibre des risques qui est progressivement passé d’une accélération rapide de l’inflation à un affaiblissement de la croissance. Nous prévoyons que la BdC ramènera le taux du financement à un jour à 2,00 % d’ici la fin de l’année.
Où pourrions-nous nous tromper en ce qui concerne la décision de mercredi prochain? Le contre-argument classique consiste à dire qu’attendre à juillet permettrait à la BdC d’avoir en main plus de données. C’est toutefois faire l’apologie de l’hésitation. L’indécision empêche la réactivité. En revanche, une réduction de taux en juin permettrait à la BdC de devancer le repli, à un moment où les risques liés à l’inflation se sont atténués. Autrement dit, si le gouverneur Macklem prend encore au sérieux la notion selon laquelle la politique monétaire agit avec un certain délai, le moment est venu pour lui de prendre les devants.
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