- Mirza Shaheryar Baig
Stratège en devises étrangères
Dans l’attente d’accords commerciaux
Selon le secrétaire au Trésor américain, Scott Bessent, les États-Unis sont en pourparlers officiels avec 17 pays au sujet d’accords commerciaux bilatéraux. Il a souligné cette semaine que des discussions avec les partenaires commerciaux asiatiques, en particulier l’Inde, sont les plus près de porter fruit.
Les messages provenant des autres parties sont cependant plus ambigus. Les autorités sud‑coréennes, qui œuvrent sous un gouvernement par intérim, ont déclaré qu’elles ne s’attendaient pas à ce qu’un accord soit conclu avant le mois de juin, date à laquelle des élections sont prévues. Les négociateurs japonais ont laissé entendre qu’ils travaillaient sur un accord « intérimaire », qui reportera les questions épineuses telles que le commerce agricole, l’évaluation des devises et les droits de douane conjoints sur la Chine. Ceux de Taïwan ont adopté une position particulière, soutenant que les investissements massifs d’entreprises taïwanaises aux États‑Unis, comme TSMC, devraient être pris en compte dans le calcul du déficit commercial. Le Vietnam, qui est confronté à des tarifs réciproques de 46 %, a simplement déclaré que les deux parties « parviendraient bientôt à une solution adéquate ».
Pékin est l’éléphant dans la pièce dans ces discussions. Certaines sources laissent entendre que les Américains poussent d’autres pays à imposer des droits de douane plus élevés à la Chine et à mettre fin au transbordement des marchandises chinoises dans leurs ports. Le gouvernement chinois a averti que tout pays qui conclut une entente « aux dépens de Pékin » en subira les conséquences. La Chine figure au premier ou au deuxième rang des plus importants partenaires commerciaux de la plupart des pays d’Asie. Demander à ces pays de choisir entre la Chine et les États-Unis est un projet voué à l’échec.
La situation entre l’Union européenne (UE) et les États-Unis est plus complexe. En mars, le commissaire européen au Commerce, Maroš Šefčovič, a rencontré le secrétaire américain au Commerce, Howard Lutnick, mais les pourparlers sont au point mort depuis le « jour de la libération ». La rencontre entre Donald Trump et la première ministre italienne, Giorgia Meloni, plus tôt ce mois-ci, a brisé la glace, mais la politique commerciale de l’UE relève de la Commission européenne. L’Italie ou l’Irlande ne peuvent pas conclure d’accord bilatéral avec les États-Unis – tout doit passer par la Commissaire Ursula von der Leyen. Celle-ci a brièvement rencontré le président Trump aux funérailles du pape François, et a affirmé qu’ils se rencontreraient de nouveau « au moment opportun », lorsqu’un accord commercial serait sur la table. La Commission devrait présenter une proposition à ses homologues américains la semaine prochaine. L’accord commercial avec le Royaume-Uni semble également avoir été mis en veilleuse. Les négociateurs britanniques se sont imposé une date butoir, soit le 19 mai, mais il n’est pas certain que l’administration Trump soit sur la même longueur d’onde.
Au Canada, les entreprises ont intensifié leurs efforts pour se conformer à l’AEUMC afin de bénéficier des exemptions tarifaires. Toutefois, l’administration américaine est susceptible d’exercer des pressions en vue de la renégociation de l’accord bien avant l’échéance de juillet 2026. Ce sera l’une des grandes priorités du gouvernement Carney, et nous nous attendons à en entendre davantage à ce sujet au cours des prochaines semaines. Le président Trump et le premier ministre Carney ont pris la parole cette semaine et ont convenu de se rencontrer « très bientôt ».
Enfin, il y a la Chine. L’administration Trump continue de dire que la Chine capitulera, mais cela est peu probable. Les deux parties ont exempté certaines catégories de produits des barrières tarifaires en place. Mais dans l’ensemble, la Chine a adopté une attitude intransigeante. Le président Xi désire absolument maintenir une posture ferme dans les négociations. En outre, son approche d’homme d’État contraste totalement avec le style du président américain. Il a nommé Li Chenggang comme nouveau tsar du commerce et a demandé aux États-Unis de nommer l’un des leurs pour que des négociations puissent se tenir. Le président Trump a dit s’attendre à ce que le président Xi lui passe un coup de fil personnel.
Mais le temps qui passe n’est pas à l’avantage de Trump. Selon le Wall Street Journal, les dirigeants de grandes chaînes de détail ont averti Trump qu’il y aurait bientôt des hausses de prix ou des pénuries. Les marchés boursiers se sont redressés par rapport aux creux atteints récemment, mais ils pourraient se replier de nouveau s’il n’y a pas d’entente en vue avant la date limite du 8 juillet, lorsque la pause de 90 jours prendra fin.
À quoi pourraient ressembler les accords?
Bien que les détails soient rares à ce stade, nous pouvons déduire que tout accord commercial comportera les caractéristiques suivantes, en ordre d’importance :
- Tarifs douaniers réduits : Tous les pays engagés dans des pourparlers bilatéraux semblent disposés à réduire leurs barrières tarifaires sur les importations en provenance des États-Unis. L’absence pure et simple de droits de douane serait le scénario idéal pour les marchés, mais certains secteurs comme l’agriculture resteront probablement protégés, quoique possiblement dans une moindre mesure.
- Achat d’armes et d’énergie aux États-Unis : Plusieurs pays, dont Israël, Taïwan, la Corée du Sud et l’Inde, ont proposé d’acheter aux États-Unis du matériel militaire plus perfectionné. L’initiative indo-américaine COMPACT (acronyme de Catalyzing Opportunities for Military Partnership, Accelerated Commerce & Technology) pourrait servir de modèle à d’autres pays. Il s’agit d’une entente pour la vente à long terme de matériel de défense et la coproduction de munitions comme les missiles antichars Javelin. De même, l’Asie, qui a un déficit d’énergie, a un important besoin à long terme de gaz naturel liquéfié (GNL) transporté par mer, ce que les États-Unis peuvent lui fournir.
- Moins de barrières commerciales non tarifaires : Les réglementations en matière de sécurité alimentaire, les systèmes d’approvisionnement basés sur des quotas, les licences et même les taxes sur les ventes et la valeur ajoutée font l’objet de négociations. La situation est différente d’un pays à l’autre et, même si chaque pays a ses lignes rouges à ne pas franchir, certaines de ces protections seront probablement amoindries.
- Règles d’origine : Des taux tarifaires différents impliquent un arbitrage commercial. Des produits et composants chinois sont déjà assemblés ou réacheminés vers les États-Unis dans des pays comme Taïwan, le Mexique et le Vietnam. Les règles d’origine figuraient déjà dans des accords comme l’AEUMC et constitueront probablement un élément clé des nouveaux accords commerciaux.
- Réduction de la taxe sur les services numériques : Le Royaume-Uni prélève une taxe de 2 % sur les revenus générés par certains services numériques fournis par les grandes entreprises technologiques. Les taux varient dans la zone euro – ils sont de 3 % en France, par exemple. Le Canada s’apprête à instaurer lui aussi une taxe de 3 % à compter du 28 juin prochain. Il s’agit d’un irritant majeur pour les entreprises technologiques américaines. Les négociateurs commerciaux du Royaume-Uni ont proposé de réduire cette taxe. Mais il s’agit d’une question litigieuse dans l’UE, d’autant plus que la fiscalité relève des gouvernements nationaux et non de la Commission européenne.
- Pacte de change : Les marchés ont émis l’hypothèse que Scott Bessent cherche à affaiblir le dollar pendant les négociations commerciales. Mais le principal diplomate des changes du Japon, Atsushi Mimura, a rejeté ces affirmations. Le gouverneur de la banque centrale de Taïwan, Yang Chin-Long, a également nié que les États-Unis aient demandé à Taïwan d’augmenter la valeur de sa monnaie.
- Investissement aux États-Unis : Le président Trump a vanté l’engagement du Japon à investir dans des projets de GNL en Alaska et l’expansion des usines de fabrication de TSMC en Arizona, des annonces dont il s’est attribué le mérite. Toutefois, il n’est pas certain que l’administration Trump acceptera d’inclure les investissements dans le cadre d’un accord commercial.
- Tarifs douaniers contre la Chine : Certains médias ont rapporté que les États-Unis veulent que leurs partenaires commerciaux adoptent des tarifs douaniers communs sur les produits chinois. Comme nous l’avons mentionné précédemment, il est très peu probable que d’autres pays s’engagent dans cette voie.
Alors, les tarifs douaniers vont-ils diminuer?
La formule qui sous-tend les tarifs réciproques est fondée sur le déficit commercial bilatéral. Même si les barrières extérieures sont réduites, les États-Unis continueront d’enregistrer un déficit commercial important avec l’Asie, car ce déficit est le résultat de taux d’épargne et d’investissement différents.
La formule elle-même est arbitraire, et les États-Unis pourraient facilement l’abandonner pour les pays qui signent un accord commercial. Les droits de douane ne seront peut-être pas entièrement supprimés, mais ils seront certainement moins élevés. La direction prise est celle de la désescalade, mais le calendrier est incertain.
Dans tous les cas, même avec des tarifs moins élevés, les entreprises devront composer avec un ensemble disparate d’accords bilatéraux pour gérer des chaînes d’approvisionnement dispersées à l’échelle mondiale. Cela se traduira par des coûts commerciaux plus élevés – et un marché haussier pour les avocats spécialisés en douanes.
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