Équilibre risque-rendement : composer avec la transition énergétique du secteur des combustibles fossiles
Le contexte
Selon le consensus scientifique, afin de limiter à 1,5 °C la hausse des températures moyennes à l’échelle mondiale, la production de charbon, de pétrole et de gaz doit décroître radicalement d’ici 2050, et augmenter considérablement les investissements en faveur des énergies renouvelables
Le Canada s’est engagé à réduire ses émissions de gaz à effet de serre (GES) de 40 % à 45 % d’ici 2030, par rapport au niveau de 2005
Par ailleurs, pour assurer une transition juste, ces cibles ambitieuses doivent s’inscrire dans un plan qui permet non seulement d’atteindre les objectifs climatiques à l’échelle mondiale, mais aussi de soutenir les travailleurs et les collectivités concernés.
Avec l’accentuation de la pression pour lutter contre les changements climatiques et passer à des sources d’énergie durable, il est nécessaire d’adapter l’approche traditionnelle pour l’évaluation des risques et l’optimisation du rendement, alors que les parties prenantes doivent composer avec la complexité d’un paysage énergétique en transition.
Dans le cadre de cet article portant sur les énergies fossiles, nous explorons comment l’évolution de la dynamique des marchés, du cadre réglementaire et des innovations technologiques se répercute sur les stratégies d’investissement.
Les scénarios
Les équipes Investissement et Stratégie de Desjardins Gestion internationale d’actifs (DGIA) ont analysé 3 principaux scénarios climatiques potentiels, en fonction de la conformité aux politiques législatives en vigueur ou à venir ainsi que du risque systématique qu’elles représentent pour le secteur des énergies fossiles.
Scénario | Description | Production de pétrole au Canada | Production de gaz naturel au Canada |
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Politiques en évolution 2,5°C Stated Policies Scenario (STEPS) – International Energy Agency (IEA) Net Zero by 2050 – A Roadmap for the Global Energy Sector | Projection des émissions de GES selon les politiques en vigueur (ex. : la tarification du carbone), en tenant compte de la stabilité de la demande pour le pétrole et de perspectives de croissance à moyen terme quant à la production de gaz naturel, ce qui laisse entrevoir un réchauffement planétaire de 2,5 °C d’ici 2100.
| Légère augmentation jusqu’au milieu des années 2030, puis retour progressif au niveau de 2021.
| Hausse des exportations d’ici 2030 et qui seront soutenues jusqu’en 2050. Augmentation de la part de marché du Canada.
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Politiques promises 1,7°C | Réduction du recours aux énergies fossiles par la mise en place de différentes promesses gouvernementales, lesquelles seront plus strictes afin de réduire les émissions de GES, en vue d’éventuellement atteindre la carboneutralité et de limiter le réchauffement à 1,7 °C d’ici 2100.
| Diminution principalement attribuable à l’accélération de la transition vers l’électricité et les énergies renouvelables.
| Hausse des exportations d’ici 2030. Diminution de la consommation en Amérique du Nord, reflétée par une baisse de la production au Canada.
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Politiques de carboneutralité 1,5°C | Réduction radicale de la production de combustibles fossiles, avec un alignement dès aujourd’hui pour atteindre l’objectif de carboneutralité d’ici 2050 et limiter le réchauffement planétaire à 1,5 °C d’ici 2100.
| Diminution de la demande mondiale de 40 % à 70 % d’ici 2050. Aucun nouveau champ pétrolier mis en exploitation à partir de 2021 ; arrêt progressif des centrales électriques alimentées au pétrole d’ici 2040.
| Demande mondiale en baisse de 80 % d’ici 2050. Aucun développement de nouveau site d’extraction de gaz naturel dès 2021.
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Compte tenu des politiques en vigueur, le scénario « Politiques en évolution » s’avère être celui le plus probable, en plus d’être représentatif des efforts de réduction des émissions de GES des dernières années. Autrement dit, il s’agit du scénario laissant le moins de place à l’incertitude quant aux mesures que les gouvernements devraient mettre de l’avant au cours des prochaines années.
L’approche de Desjardins Gestion internationale d’actifs
L’analyse de ces scénarios permet de mesurer la probabilité de certains moments charnières de la transition énergétique. Nous pouvons ainsi mieux évaluer quand ils surviendront, y compris les occasions d’investissement et les risques qu’ils représentent.
Quel que soit le scénario, la demande de pétrole et de gaz naturel demeurera à un niveau auquel l’industrie canadienne pourra répondre d’ici le milieu des années 2030. Cependant, l’incertitude quant à la pérennité du modèle d’affaires actuel augmente considérablement entre 2030 et 2050, puisque les projections font état d’une baisse à la fois de la demande et de la production.
Notre approche pour la construction d’un portefeuille comprenant des titres de sociétés du secteur des énergies fossiles consiste à considérer un facteur d’incertitude plus élevé et un risque particulièrement accru dans la foulée de moments charnières, comme l’atteinte du sommet de la consommation de pétrole. Le cas échéant, aucun projet majeur d’extraction de pétrole ou de gaz n’est nécessaire pour répondre à la demande, laquelle devrait bientôt plafonner, permettant de décarboniser rapidement tout en répondant à la demande croissante en énergie.
Au-delà des différents scénarios envisagés, d’autres facteurs d’incertitude entrent en ligne de compte dans l’analyse des prévisions de l’offre et de la demande de combustibles fossiles sur les marchés canadiens et mondiaux. En voici quelques exemples.
Le secteur pétrolier
Compte tenu notamment de l’évolution du parc automobile vers les véhicules zéro émission, nous prévoyons une pression accrue à moyen et à long terme qui amènera l’industrie pétrolière à revoir son modèle d’affaires. Mentionnons à cet effet que le secteur
Les technologies propres
Afin de réduire les effets négatifs de l’exploitation des combustibles fossiles, l’industrie canadienne mise sur les technologies de captage, d’utilisation et de stockage du carbone pour continuer à produire, voire croître, tout en réduisant les émissions de GES. Bien que ces technologies soient prometteuses, il est risqué d’affirmer qu’elles garantiront à elles seules la pérennité de cette industrie. Malgré la mise en commun des connaissances et l’engagement à injecter près de 24 G$ dans ces technologies d’ici 2030
Le gaz naturel
D’aucuns perçoivent le gaz naturel comme une source d’énergie transitoire, surtout lorsqu’il est question de réduire le recours au charbon pour la production d’électricité. De nombreux pays, dont le Canada, visent l’atteinte de la carboneutralité pour la totalité de l’électricité produite d’ici 2035
Les nouveaux projets
Selon le rapport de l’AIE sur la carboneutralité, compte tenu de l’alignement des politiques sur cet objectif, la mise en œuvre de nouveaux projets majeurs pour l’extraction de pétrole et de gaz naturel au-delà de 2021 n’est plus nécessaire. Autrement dit, les entreprises de ce secteur doivent désormais entièrement se concentrer sur la production et la croissance selon la marge de manœuvre offerte par leurs installations existantes, de même que sur la réduction des émissions de GES liées à leur exploitation.
Les structures de financement
Les structures de financement jouent également un rôle important en ce qui concerne notre évaluation des risques. Le financement d’un projet d’exploitation, avec un amortissement progressif, donc un désendettement, peut être considéré moins risqué à long terme et de meilleure qualité. De plus, les agences de notation semblent intégrer de plus en plus les risques physiques et transitoires à leur cote de crédit. Un déclassement soudain d’un titre ou d’un émetteur peut avoir une incidence sur la gestion du portefeuille, sa construction et son rendement.
En résumé
Nous croyons que plus nous approcherons de 2050, plus les gouvernements prendront l’urgence climatique au sérieux, ce qui accélérera la mise en application de mesures et de politiques en faveur de la transition énergétique. Si les lois tardent à voir le jour, elles n’en seront que plus strictes lorsqu’elles seront adoptées.
Bien que certaines technologies soient porteuses d’espoir et puissent même stimuler la croissance du secteur des énergies fossiles, les résultats concrets se font toujours attendre. Ultimement, les entreprises devront prendre le pas de la transition énergétique, en adaptant leurs activités ou en intégrant des technologies sobres en carbone pour demeurer rentables.
Il est impératif de reconnaître que les facteurs décrits dans le présent article doivent être pris en compte pour composer avec la complexité de la transition énergétique. Alors que les gouvernements, les entreprises et les institutions financières sont aux prises avec les défis et les occasions que représentent les efforts de décarbonisation, l’adaptation proactive et la planification stratégique seront cruciales pour assurer la résilience et la durabilité dans un contexte où les marchés et les règlements sont en évolution. L’innovation, l’investissement dans les technologies d’énergie renouvelable et l’intégration des considérations climatiques aux décisions d’investissement s’avèrent incontournables.
Pour en savoir plus sur la dynamique actuelle du secteur des énergies fossiles, n’hésitez pas à communiquer avec notre équipe.
Pierre-Alexandre Renaud
Conseiller principal Investissement responsable