Bientôt, vous céderez votre entreprise à vos enfants. C’est une étape importante de votre vie et vous ne voulez négliger ni les aspects légaux ni les aspects humains. Qu’en est-il de la fiscalité? Certaines erreurs courantes pourraient vous faire perdre une petite fortune en impôts. Voici comment les éviter.
La vente de votre entreprise à un membre de votre famille vous amènera un revenu important, qui sera imposé. Selon la façon dont vous organiserez la transaction, le fisc considérera ce revenu comme un gain en capital ou un dividende. Et vous voulez qu’il le considère comme un gain en capital!
Gain en capital :
- taux d’imposition maximal de 26,6 % jusqu’au 24 juin 2024
- Depuis le 25 juin 2024, le taux d’imposition maximal augmente à 35,54 % pour les gains en capital réalisés depuis cette date qui excèdent 250 000 $
- Jusqu’au 24 juin 2024, le montant admissible à la déduction pour gains en capital est de 1 016 836 $
Dividende :
- taux d’imposition maximal de 48,7 %
- pas de déduction pour gains en capital, car il s’agit d’un revenu de dividende
La déduction de 1 016 836 $ pour gains en capital est un maximum à vie. Par exemple, si vous avez déjà utilisé 50 000 $ de cette déduction, vous n’aurez droit qu’à 966 836 $. Depuis le 25 juin 2024, cette déduction est passée à 1 250 000 $. Elle sera indexée chaque année à compter de 2026.
Gain en capital ou dividende : un exemple de différence
Il y a 20 ans, Robert a fondé son entreprise avec 10 000 $ d’investissement. Aujourd’hui, il désire la vendre 2 millions de dollars à sa fille Mélanie, qui le paiera au fil des ans avec les profits. Robert devra ajouter cette somme à ses déclarations de revenus.
Si le fisc considère que ce revenu est un gain en capital :
- revenus : 2 000 000 $
- capital investi : 10 000 $
- gain en capital : 1 990 000 $ (soit 2 000 000 $ moins 10 000 $) et c’est son seul gain en capital de l’année 2024
- déduction pour gains en capital : 1 250 000 $ (en supposant que Robert n’en a jamais bénéficié dans le passé)
- gain en capital sur lequel Robert paiera de l’impôt : 740 000 $ (soit 1 990 000 $ moins 1 250 000 $)
- taux d’imposition maximal : 26,6 % pour la première tranche de 250 000 $ et de 35,54 % pour l’excédent de 490 000 $ (soit 740 000 $ moins 250 000 $)
- impôts à payer au taux le plus élevé : 240 646 $
- Robert pourrait aussi avoir à payer un impôt minimum de remplacement, qui pourrait être récupéré sur une durée maximale de 7 ans
Si le fisc considère que le produit de la vente est un dividende :
- revenus : 1 990 000 $
- taux d’imposition maximal : 48,7 %
- impôts à payer au taux le plus élevé : 969 130 $
La différence : 728 484 $
Bien sûr, l’exemple est simplifié et chaque cas est particulier. « Mais le gain en capital reste toujours la meilleure stratégie », dit Patrick Giroux, conseiller principal en fiscalité chez Desjardins. Et ce, grâce aux modifications annoncées en 2021 avec le projet de loi C-208 adopté dans la même année dont les dernières modalités s’appliquent à compter de 2024. Bonne nouvelle : le Québec s’est harmonisé à ces mesures fiscales!
Avant 2024, Robert aurait difficilement pu bénéficier des avantages du gain en capital. La raison : l’acheteur étant un membre de la famille, donc lié à lui, le fisc aurait considéré son revenu comme un dividende. En d’autres termes, pour bénéficier de la déduction pour gains en capital, et donc payer beaucoup moins d’impôts, Robert devait vendre ses actions à un acquéreur externe!
La nouvelle disposition corrige cette incohérence et permet à la famille de structurer la transaction dans l’intérêt de tous.
Comment structurer la transaction?
Dans l’exemple dont nous venons de parler, Mélanie n’a pas 2 millions de dollars en liquidités. Elle paiera son père avec les profits de l’entreprise ou un prêt consenti à l’entreprise.
- Elle créera donc une société de gestion qui sera propriétaire de la société opérante.
- Robert vendra ses actions de la société opérante en faveur de cette société de gestion
- La société de gestion empruntera les fonds qui serviront à payer les actions acquises de Robert.
Pour Mélanie, ce montage financier est très avantageux. Le paiement se fait directement entre la société de gestion et Robert, sans passer par sa fille, donc sans qu’elle ait à payer de l’impôt personnel sur cet argent. Sinon, elle devrait par exemple sortir de l’entreprise 4 millions de dollars (sous forme de salaires ou de dividendes, etc.), payer 2 millions en impôts, puis verser les 2 millions restant à Robert.
Pour Robert aussi, cette approche sera gagnante. La vente des actions ne sera pas considérée comme un dividende, mais bien comme un gain en capital, avec tous les avantages fiscaux que cela suppose.
La transaction devra cependant respecter certaines conditions.
« C’est uniquement pour le transfert des actions, avertit d’emblée Patrick Giroux, pas pour les actifs de l’entreprise! »
Quelles conditions respecter?
« C’est uniquement pour le transfert des actions, avertit d’emblée Patrick Giroux, pas pour les actifs de l’entreprise! »
- Le cédant doit être un particulier.
- Les actions vendues doivent être admissibles à la déduction pour gains en capital.
- La société acheteuse doit être contrôlée par un ou plusieurs enfants adultes du cédant. Le terme « enfant » est élargi pour inclure les descendants en ligne directe. Cela comprend également les neveux et les nièces. On considère aussi ceux du conjoint du cédant.
De plus, des conditions ont été prévues afin de s’assurer d’un véritable transfert d’entreprise intergénérationnel. Des critères en lien avec le transfert du contrôle, des intérêts économiques et de la gestion, l’implication de la relève dans l’entreprise ainsi que la garde du contrôle ont été élaborés.
Et si les conditions ne sont pas respectées?
Québec : des critères assouplissement!
Votre transaction doit non seulement respecter les conditions déterminées par Ottawa, mais aussi celles de votre province. Or, avant 2024, le Québec imposait des critères plus sévères que le Canada. Toutefois, le gouvernement québécois a annoncé une harmonisation complète aux règles fédérales à compter de 2024.
Le fisc peut être strict. Si l’une ou l’autre des conditions n’est pas respectée, le transfert d’entreprise sera considéré comme une transaction entre personnes liées. Par conséquent, le revenu sera considéré comme un dividende, et le vendeur devra payer beaucoup plus d’impôts.
La clé du succès réside dans la planification
Entreprises agricoles ou de pêche : des règles plus généreuses
Si votre entreprise est agricole ou de pêche familiale, les règles sont un peu moins sévères. Voici les principales différences.
- La déduction pour gains en capital peut s’appliquer pour les participations dans une société de personnes.
- Si l’entreprise est personnelle (enregistrée, et non incorporée), des actifs comme des terres et des quotas se qualifient. Cependant, les inventaires comme le troupeau ou les aliments, ainsi que la machinerie, ne se qualifient pas.
- Le vendeur sera imposé selon le montant de la transaction, et non selon la valeur réelle de l’entreprise.
Le transfert d’une entreprise est une transaction complexe. Par exemple, deux ans avant la transaction, l’entreprise devra peut-être se départir de certains de ses biens pour respecter le critère de 50 % des actifs consacrés principalement aux opérations. Autre exemple, le gain en capital peut avoir un impact sur l’impôt minimum de remplacement ou sur des programmes d’aide gouvernementale, comme la pension de la Sécurité de la vieillesse. Par ailleurs, un incitatif à l’intention des entrepreneurs canadiens sera progressivement instauré à compter de 2025. Votre fiscaliste vous permettra d’y voir plus clair afin de réduire ces impacts, notamment en choisissant le meilleur moment pour réaliser la transaction. « Planifiez! », conseille Patrick Giroux. Ou plus précisément, planifiez avec l’aide de votre comptable, de votre fiscaliste et de votre institution financière. Vous avez besoin des bons joueurs dans votre équipe. Les sommes en jeu sont trop importantes!