L'intégration des critères ESG, de solution marginale à courant dominant

Avril 2023

Christian Felx, Chef de l’investissement responsable, Desjardins Gestion internationale d’actifs

L’essor de l’investissement responsable (IR) est indéniable. Un nombre croissant d’investisseurs privilégie des solutions de placement qui contribuent à la prospérité durable, alors que l’intérêt accru que porte l’ensemble des parties prenantes à la finance responsable démontre que l’IR s’impose de plus en plus comme la nouvelle normalité. Pourtant, l’intégration des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) avait encore son lot de détracteurs il y a deux ans. Comment expliquer le revirement de tendance et à quoi faut-il s’attendre au cours des prochaines années?

Des approches qui se raffinent

Force est d’admettre que l’évolution des approches d’intégration ESG a joué un rôle majeur dans l’essor de l’IR à titre de courant dominant. Au cours des dernières années, les gestionnaires de portefeuille sont passés d’une approche basée sur les exclusions par principe à des approches sophistiquées faisant appel à différents cadres d’analyses. Cette évolution a permis de connecter durabilité et performance financière. Ainsi, il est dorénavant admis que l’intégration des enjeux ESG dans l’allocation et la sélection des placements permet de déceler des risques et des occasions parfois négligés par l’analyse financière traditionnelle. Parfaitement cohérent avec le devoir fiduciaire des gestionnaires, ce nouveau paradigme a permis de déboulonner, une bonne fois pour toutes, le mythe de sous-performance ayant longtemps nourri les arguments des sceptiques.

Lutte aux changements climatiques : l’heure est à une approche inclusive

Afin de faire face aux défis à l’urgence climatique, la nécessité d’un virage vers une économie sobre en carbone fait consensus. D’ailleurs, la transition est déjà amorcée. Pour les entreprises et les investisseurs, elle se traduit par l’incontournable évaluation des risques et occasions qui en découlent, avec tous les défis qui accompagnent un enjeu à long terme et empreint d’incertitude.

Une approche inclusive qui permet de travailler avec les émetteurs de tous les secteurs de l’économie est à privilégier. Le rôle des gestionnaires d’actifs est d’évaluer la stratégie des entreprises face aux enjeux ESG qui affecteront leur performance financière à long terme. Celui des émetteurs est d’assurer sa pérennité tout en exerçant une influence positive sur la société et l’environnement.

Quelques tendances émergentes en rafales

  • La carboneutralité d’ici 2050 : Cet objectif teintera l’évolution du monde de l’IR au cours des prochaines années, de la collecte de données aux décisions d’investissement, en passant par les activités d’engagement
  • L’importance du « S » : Les iniquités, qu’elles soient liées aux droits de la personne ou à l’environnement (iniquités intergénérationnelles), sont au cœur de plusieurs enjeux ESG. Exacerbée par la pandémie, la dimension sociale de l’IR fera l’objet d’une attention particulière de la part des investisseurs.
  • Le besoin de transparence : Les enjeux d’écoblanchiment ont attiré l’attention des autorités règlementaires alors que les investisseurs exigent des preuves des retombées de leurs placements. Une transparence accrue sera de mise afin de démontrer l’authenticité et la sincérité de toute démarche en IR.
  • L’investissement d’impact : Après l’intégration ESG, le marché se tourne graduellement vers l’impact, tant en matière de solutions d’investissement que de processus afin de mesurer et comprendre l’impact des pratiques IR.
  • Les nouvelles technologies : L’intelligence artificielle, le traitement de données de masse et l’analyse de données non structurées trouvent leur application dans le domaine de l’IR. Celles-ci permettront de bonifier l’analyse de données tout en améliorant l’efficience des décisions de placement.

Vers l’adoption de données ESG comparables, crédibles et universelles

La volonté des organismes de règlementation d’encadrer la divulgation des données ESG tombe à point. La faible qualité des données et le manque de normes universelles sont critiqués depuis longtemps par les gestionnaires d’actifs. Toutefois, la multiplication des fournisseurs de données et la divulgation améliorée des émetteurs ont permis une nette progression dans la quantité et la qualité des données ESG disponibles. La couverture demeure toutefois inégale selon les régions et les classes d’actifs, et la prolifération des cadres de référence et des sources de données exige vigilance et rigueur de la part des investisseurs.

Le moment est venu de prôner l’adhésion à un nombre limité de normes crédibles et universelles. La création récente de l’ International Sustainability Standards Board (ISSB) - Lien externe au site. (site en anglais seulement) va certainement en ce sens.

L’IR s’étend à travers les classes d’actifs et les approches

La disponibilité des données a d’abord favorisé l’intégration ESG dans les classes d’actifs liquides traditionnelles. Récemment, on assiste à une intégration dans les classes d’actifs alternatives, notamment l’immobilier et les infrastructures. Des processus et des lignes directrices sont mis en place pour l’incorporation des critères ESG dans les processus d’investissement. Bâtiments verts et parcs éoliens sont dorénavant accessibles aux investisseurs qui ont maintenant accès à des solutions de placement responsables à travers l’ensemble des classes d’actifs.

L’attrait des solutions passives et systématiques est une autre tendance forte. L’amélioration de la divulgation et de la qualité des données quantitatives permet de déployer des règles sophistiquées de filtrage et de construction de portefeuille pour développer des solutions sur mesure.

L’importance d’une expertise diversifiée

Malgré la croissance fulgurante de l’IR, le manque de savoir-faire pour évaluer la qualité et les retombées des différentes solutions de placement demeure le principal frein à son adoption universelle. C’est pourquoi il est essentiel d’investir le temps et les efforts nécessaire afin de développer de bons outils, d’intégrer les bonnes ressources et de développer les compétences des équipes.

Pour pallier les lacunes actuelles, l’éducation est la clé. Plusieurs programmes d’études universitaires intègrent maintenant la finance responsable et les institutions financières déploient de vastes programmes de formation à l’interne. Au-delà du développement des connaissances, les gestionnaires de portefeuille qui se démarquent veillent également à préconiser la diversité sous toutes ses formes, incluant la diversité d’expertise, afin de favoriser le débat d’idées nécessaire à l’innovation et l’évolution en continu.