Alphonse Desjardins (1854-1920)
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Gabriel-Alphonse Desjardins naît le 5 novembre 1854 à Lévis, en face de la ville de Québec. Il est le huitième d'une famille de condition modeste comptant 15 enfants. Le père, François Roy dit Desjardins, est un journalier qui ne parvient pas à occuper longtemps le même emploi. C'est pourquoi la mère, Clarisse Miville dit Deschênes, doit travailler comme femme de peine1 chez des voisins pour joindre les 2 bouts.
Alphonse Desjardins fait ses études au Collège de Lévis. De 1864 à 1870, il y complète les 4 classes du cours commercial, puis la première du cours de latin. Son dossier scolaire révèle un élève tenace et appliqué. Forcé de recommencer la troisième classe du cours commercial, il ne se laisse pas aller au découragement. Il figure parmi les premiers de sa classe et remporte de nombreux prix. Il en va de même pour la première classe du cours de latin.
En plus de récolter quelques récompenses, il est choisi comme candidat à l'Académie Saint-Joseph, une société visant à récompenser les efforts méritoires des élèves du Collège de Lévis. Souvent absent de la classe, le jeune Desjardins devient toutefois un élève moyen et inconstant, car le soutien familial commence à lui faire défaut. En juillet 1870, âgé de 15 ans, il doit abandonner le collège, probablement parce que le coût des études classiques est trop élevé.
1. Femme employée pour le service, l'entretien de la maison
Pendant un quart de siècle, Alphonse Desjardins marche sur les traces d'un de ses frères aînés, Louis-Georges Desjardins (1849-1928), journaliste, militaire et politicien d'allégeance conservatrice. À l'été 1869, il s'enrôle dans le 17e Bataillon d'infanterie de milice volontaire de Lévis, où Louis-Georges détient le grade d'adjudant. Après avoir fréquenté l'École militaire de Québec en 1870, Alphonse Desjardins est promu au grade de sergent-major. Le 17 octobre 1871, le jeune sous-officier part en expédition à la Rivière Rouge dans l'Ouest canadien. Il fait alors partie d'une expédition visant à contrer les Féniens américains, un mouvement révolutionnaire qui lutte pour l'indépendance de l'Irlande. Mais sa carrière militaire est de courte durée.
De retour à Lévis, il s'engage dans la presse conservatrice. Dès 1872, il obtient un emploi à L'Écho de Lévis, où il apprend les rudiments du journalisme. L'année suivante, ce journal l'envoie comme correspondant à Ottawa. Il y est à l'affût d'expériences nouvelles tant dans l'écriture dramatique que dans la mutualité appliquée à la construction domiciliaire. Mais ses projets restent en plan.
À la suite de la fermeture de L'Écho de Lévis, le 12 juillet 1876, Alphonse Desjardins passe au Canadien, un quotidien de Québec dont son frère Louis-Georges est copropriétaire depuis peu. Sa contribution au journal prend plusieurs formes. En dehors des faits divers, il fait à l'occasion une revue de la presse britannique couvrant toutes les facettes de l'actualité ou encore il tient une chronique consacrée aux nouvelles lévisiennes. En pratique, la principale tâche du jeune journaliste ne tarde pas à être déterminée par les besoins de l'actualité. En 1877 et en 1878, la rédaction du Canadien lui confie la couverture des débats de l'Assemblée législative de Québec. Il y manifeste des aptitudes professionnelles qui inspirent de l'estime à ses confrères de la tribune de la presse. Le 19 juin 1879, ils le nomment membre du comité exécutif de l'Association des journalistes de la province de Québec.
Cet emploi de journaliste ouvre à Alphonse Desjardins les portes de la bonne société de Québec. Le 15 décembre 1877, il compte parmi les membres fondateurs de la Société de géographie de Québec. Il milite également au sein du parti conservateur. En 1878 et en 1879, il est membre du comité de régie du Club Cartier de Québec, un club politique aux allégeances conservatrices. En conséquence, il agit à titre de secrétaire du Comité central conservateur du comté de Lévis lors des élections fédérales tenues à l'automne 1878.
Son engagement politique lui vaut d'occuper, de 1879 à 1889, les fonctions d'éditeur des débats parlementaires de l'Assemblée législative de Québec. Il s'agit de résumer les interventions des députés et d'en rapporter l'essentiel dans les Débats de la Législature de la Province de Québec, publication annuelle subventionnée par le gouvernement.
Désirant fonder une famille, Alphonse Desjardins épouse Marie Clara Dorimène Roy-Desjardins (1858-1932) à Sorel, le 2 septembre 1879. Ils auront 10 enfants, 6 garçons et 4 filles.
Dans les années 1880 et jusqu'au milieu des années 1890, Alphonse Desjardins est très actif au sein des différents réseaux associatifs qui agissent au sein de la société lévisienne. Ainsi, il s'engage à fond dans les activités de sociétés culturelles lévisiennes consacrées aux questions littéraires et patriotiques, comme l'Institut canadien-français, dont il est le président en 1883, et la Société Saint-Jean-Baptiste. Il participe également à des œuvres charitables et philanthropiques, telles la Société Saint-Vincent-de-Paul et la Congrégation des Hommes de Notre-Dame de Lévis. Il s'intègre alors à plusieurs réseaux, dont il sait faire bon usage le moment venu.
À la même époque, son action au sein de la Chambre de commerce de Lévis lui permet de contribuer à une série d'initiatives favorables au développement local de sa ville. Il est, par exemple, un témoin attentif du débat entourant l'absence d'institution de crédit à Lévis. Suivant encore une fois les traces de son frère Louis-Georges, il siège au conseil de la Chambre de commerce de Lévis, d'abord à titre de secrétaire-trésorier de 1880 à 1888, puis de conseiller jusqu'en 1893.
Alphonse Desjardins publie tranquillement les débats parlementaires. Mais la situation change à partir de 1887, alors que les libéraux d'Honoré Mercier (1840-1894) prennent le pouvoir. Aussitôt, ces derniers songent à retirer l'édition des débats à Alphonse Desjardins pour la confier à quelqu'un d'autre. L'éditeur parvient à surmonter ces difficultés, mais ce n'est que partie remise. Le 14 décembre 1889, il apprend que le gouvernement Mercier cesse de subventionner la publication des débats afin de réduire les dépenses publiques. De toute évidence, ces raisons d'économie camouflent des motifs partisans. On raconte que le refus d'Alphonse Desjardins d'apporter des corrections de fond au texte d'un débat sur le financement de la conférence interprovinciale de 1887, à la demande d'Honoré Mercier ou de l'un de ses proches collaborateurs, serait à l'origine de l'interruption de la publication. À l'hiver 1890, les « Débats Desjardins » paraissent pour la dernière fois.
Du jour au lendemain, Alphonse Desjardins se retrouve sans emploi. Forcé de réorienter sa carrière, il décide de revenir à la profession de journaliste. Le 9 juillet 1891, il lance à Lévis un nouveau quotidien, L'Union canadienne, dans lequel il défend le programme du parti conservateur fédéral. Véritable homme-orchestre, il y cumule les fonctions de propriétaire et d'éditeur, mais des problèmes de santé le forcent à suspendre la publication, le 10 octobre 1891, après seulement 3 mois.
Pour la dernière fois de sa vie, Desjardins va se servir de la politique partisane pour réorienter sa carrière. De 1890 à 1893, il agit à titre de secrétaire de l'Association conservatrice provinciale de Lévis. Au cours de l'hiver 1891, il travaille d'ailleurs pour le parti conservateur à l'occasion des élections fédérales. Le gouvernement conservateur à Ottawa songe à récompenser ce militant de longue date. Le 22 avril 1892, le Parlement fédéral adopte le rapport du comité des débats qui recommande la nomination d'Alphonse Desjardins au poste de sténographe français à la Chambre des communes à Ottawa. Il occupe cette fonction jusqu'à sa retraite en 1917. Soucieux de conserver son lieu de résidence à Lévis, il se résigne pendant 25 ans à séjourner environ 6 mois par année dans la capitale canadienne, à plus de 450 kilomètres des siens. Cette vie nouvelle provoque chez lui un regain d'intérêt pour l'assurance et la mutualité.
En 1893, il compile ainsi des Notes pour servir à une étude sur l'assurance-vie. Il étudie également avec soin le fonctionnement et les activités des sociétés de secours mutuel établies à Lévis, en particulier la succursale de la Société des Artisans canadiens-français, ouverte en 1889, ou encore la Société de construction permanente de Lévis, fondée 20 ans plus tôt. De 1892 à 1895, il siège d'ailleurs au bureau de direction de cette mutuelle qui a pour but d'offrir des prêts hypothécaires à ses membres. Infatigable, il trouve encore le moyen d'être professeur de sténographie au Collège de Lévis de 1893 à 1900, dans l'intervalle des sessions parlementaires d'Ottawa.
C'est à la Chambre des communes à Ottawa que Desjardins assiste, en 1897, à un débat qui lui fait prendre conscience des ravages de l'usure2. Le 6 avril, Michael Quinn (1851-1903), député conservateur de Montréal-Sainte-Anne, dépose un projet de loi visant à lutter contre les pratiques usuraires. Quinn cite, à titre d'exemple, le cas d'un Montréalais condamné par la justice à payer des frais d'intérêt de 5 000 $ sur un emprunt initial de 150 $. Abasourdi, Alphonse Desjardins se met aussitôt à fouiller dans les bibliothèques en quête d'une solution. L'année suivante, il met la main sur un ouvrage intitulé People's Banks du Britannique Henry William Wolff (1840-1931), président de l'Alliance coopérative internationale. Aussitôt, il entre en contact avec l'auteur et une longue correspondance s'établit entre les 2 hommes. Wolff accepte volontiers d'introduire Alphonse Desjardins auprès de différents coopérateurs européens.
De fil en aiguille, Alphonse Desjardins ouvre une véritable enquête sur la coopération à l'échelle internationale. Sa préoccupation centrale est la question sociale au Québec. À cet égard, il constate les ravages sociaux causés par l'industrialisation, l'exode rural, le chômage et l'émigration vers les États-Unis. Selon lui, le fléau de l'usure est une illustration éloquente, parmi d'autres, de cette question sociale. Il critique l'incapacité de l'État à instaurer des réformes efficaces, alors que ni le syndicalisme ni le socialisme ne proposent de vraies solutions de remplacement. C'est l'association et le développement local qui sont à la source de la pensée de Desjardins. À cet intérêt s'ajoute une préoccupation pour la doctrine sociale de l'Église et pour l'économie sociale, dans la ligne de pensée de l'encyclique Rerum Novarum sur la condition des ouvriers (1891) du pape Léon XIII (1810-1903).
2. Intérêt à taux excessif exigé sur le prêt d'une somme d'argent
En bref, le modèle des caisses populaires est une synthèse originale de 4 systèmes d'épargne et de crédit populaires : la caisse d'épargne, la banque populaire Schulze, la caisse de crédit Raiffeisen et, surtout, la banque populaire Luzzatti. Pour l'essentiel, les sources d'inspiration d'Alphonse Desjardins sont donc européennes. Il tient compte également de l'expérience et de l'environnement nord-américains pour définir ce type nouveau d'institution et pour bien l'adapter au contexte québécois et canadien.
Plus encore, l'aplomb avec lequel Alphonse Desjardins adhère au projet coopératif s'explique en bonne partie par le fait qu'il observe plusieurs convergences entre l'expérience coopérative européenne et sa propre expertise acquise dans les réseaux associatifs de Lévis. Chez ses correspondants européens, il retrouve des valeurs et des principes d'organisation qu'il a déjà expérimentés dans diverses institutions lévisiennes. C'est pourquoi il parvient à apporter avec aisance des modifications aux modèles européens et à proposer une formule originale.
Après de longues et fructueuses recherches menées entre 1898 et 1900, Alphonse Desjardins conclut que la solution de la question sociale réside dans l'association coopérative. Son modèle de caisse populaire, dont le champ d'action se limite à la paroisse, représente la première étape de son plan d'organisation coopérative. Ses visées ne consistent pas seulement à combattre le problème de l'usure; il entend donner les moyens aux classes laborieuses de se prendre en mains, de gérer elles-mêmes leur propre capital sans l'ingérence de l'État, de développer l'habitude et le goût de l'épargne et enfin, d'instaurer un crédit plus accessible.
Le 6 décembre 1900, Alphonse Desjardins assiste au couronnement de tous ses efforts. Plus de 130 citoyens participent à l'assemblée de fondation de la Caisse populaire de Lévis, première coopérative d'épargne et de crédit en Amérique du Nord, qui commence ses activités le 23 janvier 1901. Au terme de cette première journée, le total de la perception ne s'élève qu'à 26,40 $. Les débuts sont donc très modestes.
Durant les premières années, la plupart des transactions sont effectuées soit dans la résidence familiale des Desjardins, qui abrite le siège social de la Caisse, soit dans la salle de la succursale lévisienne de la Société des Artisans canadiens-français. Au cours des 5 années suivantes, seulement 3 autres caisses sont fondées : Saint-Joseph de Lévis en 1902, Hull en 1903 et Saint-Malo à Québec en 1905.
Entre temps, la Caisse populaire de Lévis fait des progrès rapides grâce au travail et au dévouement sans borne d'Alphonse Desjardins, au large soutien du clergé lévisien, en particulier des prêtres du Collège de Lévis, à l'action discrète et efficace des mutualistes de la ville, ainsi qu'à la collaboration constante et empressée de son épouse Dorimène Desjardins. En plus de veiller à la bonne tenue du foyer familial, Dorimène Desjardins fait siennes les affaires de la Caisse. De 1903 à 1906, elle en assume d'ailleurs la gérance sans titre ni salaire durant les séjours prolongés de son mari dans la capitale fédérale.
Durant plus de 5 ans, Desjardins fait des essais nombreux et répétés auprès des gouvernements provincial et fédéral dans l'espoir de situer son projet de caisse populaire dans un cadre légal. Très tôt dans ses démarches, il accorde sa préférence à l'adoption d'une loi fédérale qui lui permettrait de fonder des caisses populaires dans toutes les provinces canadiennes. Peu de temps après la fondation de la Caisse populaire de Lévis, il effectue ses premières démarches auprès du gouvernement fédéral, mais ce dernier fait la sourde oreille.
S'ils veulent parvenir à leurs fins, Alphonse Desjardins et ses collaborateurs devront exercer de fortes pressions sur le gouvernement fédéral. C'est ainsi que Desjardins se livre à un intense travail de propagande auprès des pouvoirs publics. Au départ, il cherche à obtenir une reconnaissance internationale. En 1904, il devient membre de l'Alliance coopérative internationale, qui lui accorde le privilège d'en faire partie sur une base individuelle. Il le restera jusqu'en 1910. Mais les efforts d'Alphonse Desjardins sont surtout concentrés au pays. En 1904, par exemple, il fonde l'Action populaire économique, une association vouée à propager les œuvres économiques populaires et à intervenir auprès des gouvernements en vue d'obtenir une législation reconnaissant les caisses populaires. Mais rien n'y fait et Ottawa refuse de bouger. C'est donc un peu à contrecœur que Desjardins se tourne vers Québec en 1905.
Cette année-là, les premiers essais effectués par Desjardins entraînent toutefois de nouveaux délais. Minés par l'attente, Alphonse et Dorimène Desjardins sont d'autant plus déçus, que leur famille est très vulnérable à tous les risques que représente le vide juridique entourant les caisses populaires. Au printemps 1905, le couple vit une période de découragement et songe à tout abandonner. Des membres du clergé lévisien, et surtout monseigneur Louis-Nazaire Bégin (1840-1925), archevêque de Québec, l'incitent à persévérer dans son projet.
La situation se débloque en 1906. Le 5 mars, l'Assemblée législative de Québec adopte à l'unanimité la Loi concernant les syndicats coopératifs, qui est sanctionnée 4 jours plus tard. À l'annonce de la bonne nouvelle tant attendue, Alphonse Desjardins déborde de joie. Les caisses populaires obtiennent enfin la reconnaissance juridique.
Alphonse Desjardins ne renonce pas pour autant à faire adopter une loi par le gouvernement fédéral. Il persiste à croire, en effet, que la loi provinciale a une portée trop régionale et qu'elle ne lui apporte qu'une garantie provisoire. Il revient donc à la charge avec l'aide du député conservateur de Jacques-Cartier, Frederick Debartzsch Monk (1856-1914), alors dans l'opposition parlementaire, qui dépose, le 23 avril 1906, le projet de loi concernant les sociétés coopératives et industrielles à la Chambre des communes.
Ce nouvel essai est concluant. Du 18 décembre 1906 au 11 avril 1907, le Comité spécial de la Chambre des communes, chargé d'étudier ce projet de loi, entend plusieurs témoignages dont celui, très favorable, du gouverneur général du Canada et président honoraire de l'Alliance coopérative internationale, lord Earl Grey (1851-1917), puis en recommande l'adoption. Moins d'un an plus tard, le 6 mars 1908, la Chambre des communes adopte à l'unanimité le « projet de loi concernant la coopération ».
Il n'en va toutefois pas de même pour le Sénat qui refuse, le 15 juillet, par une seule voix de majorité, de sanctionner la loi, sous prétexte qu'elle empiéterait sur les juridictions des provinces. Il faut y voir, sans doute, le résultat de la forte campagne d'opposition orchestrée à l'échelle du pays par l'Association des marchands détaillants du Canada, dont le principal objectif est de contrer le développement des coopératives de consommation. Ce nouvel échec sonne le glas des efforts de Desjardins sur la scène fédérale. Jusqu'en 1914, quelques députés font de nouvelles démarches pour obtenir une loi fédérale sur la coopération, mais sans succès. Face à l'immobilisme d'Ottawa, Alphonse Desjardins doit donc tirer le meilleur parti possible de la loi provinciale, même si sa portée lui semble plutôt limitée.
Au Québec, toutefois, la reconnaissance juridique des caisses populaires a l'effet d'un réel déblocage. De 1907 à 1915, Alphonse Desjardins vit les années les plus exaltantes de toute son existence. C'est l'époque où il arpente le Québec en long et en large pour participer à la fondation et à l'établissement des caisses populaires. Parmi ses collaborateurs, le plus dévoué est l'abbé Philibert Grondin (1879-1950), prêtre du Collège de Lévis, qui mène une campagne de propagande très soutenue dans la presse catholique.
De 1909 à 1920, il rédige au moins 300 articles de journaux presque tous consacrés aux caisses populaires dans La Vérité et, de temps en temps, dans L'Action sociale (qui deviendra L'Action catholique en 1915), 2 journaux à grand tirage publiés à Québec. En 1910, il signe également le Catéchisme des caisses populaires, manuel par questions et réponses qui réunit l'information essentielle sur les buts, les objectifs, l'organisation et le fonctionnement des caisses populaires.
Pour sa part, Alphonse Desjardins reçoit une abondante correspondance et répond lui-même et sans délai aux nombreuses demandes de renseignements qui lui sont adressées. Il est toujours disponible pour prononcer des conférences, des discours ou des causeries. Il produit aussi une importante œuvre écrite, composée de brochures, d'articles de journaux et de revues, où il traite de la coopération en général, et des coopératives d'épargne et de crédit en particulier.
En tant que fondateur, Alphonse Desjardins orchestre le jeune mouvement des caisses populaires avec l'aide d'une poignée de proches collaborateurs. Il s'y consacre au point de jouer, en quelque sorte, le rôle d'une fédération. Sa campagne de propagande en faveur des caisses prend une ampleur considérable. Au cours de la seule année 1908, il parcourt environ 5 380 kilomètres à travers le Québec pour répondre à une gamme variée d'invitations. Il prononce 52 conférences publiques et plus de 150 causeries. Enfin, il reçoit plus de 2 500 lettres qui requièrent souvent une réponse détaillée.
Dans son travail de promotion des caisses populaires, Alphonse Desjardins est porté par une dynamique sociale qui lui permet de tisser tout un réseau de relations sociales. Malgré des réticences au départ chez quelques représentants du haut-clergé, plusieurs évêques, en particulier monseigneur Bégin de Québec, appuient activement l'action de Desjardins. En général, ce dernier préfère recevoir l'appui explicite du curé avant de fonder une caisse populaire dans sa paroisse. Il invite d'ailleurs les prêtres à prendre en charge l'administration, voire la gestion de la caisse. Dans plusieurs paroisses, le curé est le véritable organisateur de la caisse populaire.
Dans l'ensemble, le clergé répond favorablement à l'appel lancé par Alphonse Desjardins, mais son appui n'est pas unanime. Convaincus des bienfaits que la coopération d'épargne et de crédit peut apporter à leurs fidèles, plusieurs évêques reconnaissent volontiers les caisses populaires comme une œuvre sociale catholique et les recommandent à l'attention de leur clergé. Du reste, la renommée de Desjardins s'étend jusqu'au Vatican. Le 12 avril 1913, un délégué de monseigneur Bégin, archevêque de Québec, remet à Alphonse Desjardins les lettres papales, délivrées par Pie X (1835-1914), le nommant commandeur de l'Ordre de Saint-Grégoire-le-Grand pour récompenser son mérite civil et sa contribution aux œuvres sociales catholiques.
En outre, Desjardins prend appui sur les réseaux informels qui existent à l'intérieur de la communauté paroissiale. C'est ainsi que les femmes sont appelées à jouer un rôle clé dans son projet coopératif. À un niveau plus global, il peut compter sur la collaboration, absolument déterminante dans les circonstances d'alors, des organisations qui sont rattachées à l'Église catholique au Québec : l'Action sociale catholique, l'Association catholique de la jeunesse canadienne-française, les Ligues du Sacré-Cœur, l'École sociale populaire, les comités diocésains d'œuvres sociales, les coopératives agricoles et de colonisation.
D'une manière générale, le clergé et ses œuvres lui apportent un soutien direct et enthousiaste, dont la constance et l'efficacité dépendent toutefois de leurs priorités et des aléas de la conjoncture. Outre le clergé, Desjardins recrute les promoteurs les plus zélés des caisses parmi les nationalistes, tels Henri Bourassa (1868-1952) et son collaborateur Omer Héroux (1876-1963) du quotidien Le Devoir, fondé en 1910. Comparativement, les syndicats et les sociétés de secours mutuels lui prêtent un concours circonstanciel. Au fil des années, le projet coopératif d'Alphonse Desjardins se fait connaître grâce à la presse d'obédience catholique, bien sûr, mais aussi par le bouche à oreille d'une paroisse à l'autre, au point d'essaimer aux 4 coins de la province.
Tous ces appuis sont très utiles à l'œuvre des caisses populaires. En effet, Desjardins fait face à de fortes oppositions, en particulier à celles de l'Association des marchands détaillants du Canada et de la Banque Nationale qui voient les caisses comme des concurrents.
Prenant appui sur ce réseau de relations sociales, les caisses populaires se font rapidement connaître. Dès 1909, Alphonse Desjardins est débordé par les invitations que lui font les citoyens désireux d'établir une caisse dans leur paroisse. De 1907 à 1915, il en fonde pas moins de 136 au Québec seulement. Il échange également une correspondance suivie avec plusieurs administrateurs et gérants de caisses, qu'il conseille et encourage, ce qui lui permet de superviser à distance leur organisation et leur fonctionnement.
Alphonse Desjardins abat toute cette besogne dans ses temps libres, entre les sessions parlementaires d'Ottawa, sans recevoir aucune aide financière. Il réfléchit souvent à différents scénarios lui permettant d'obtenir une subvention gouvernementale afin de financer des services de supervision et d'encadrement dont il aurait la responsabilité. Mais il y renonce toujours, car il craint par-dessus tout l'ingérence de l'État dans les affaires internes des caisses.
La réputation et la notoriété d'Alphonse Desjardins lui valent des demandes de renseignements et des invitations provenant de plusieurs provinces canadiennes, mais l'Ontario est la seule d'entre elles où il étend ses activités en personne. Après avoir participé à la mise sur pied, en 1908, d'une caisse d'économie réservée à l'usage des fonctionnaires fédéraux, il fonde 18 caisses populaires dans des paroisses canadiennes-françaises de 1910 à 1913. Son influence est tout aussi marquante au Canada anglais, quoique davantage sur le plan intellectuel, car son expertise lui confère un statut de spécialiste. Il échange ainsi sa plus nombreuse correspondance avec George Keen (1869-1953), secrétaire-général et trésorier de la Co-operative Union of Canada, fondée en 1909.
Il en va de même aux États-Unis. De 1908 à 1912, Alphonse Desjardins y séjourne à 5 reprises. En plus de fonder une douzaine de caisses populaires et de credit unions, la grande majorité dans des paroisses franco-américaines, il exerce une profonde influence sur la législation coopérative de plusieurs États. Dans le Massachusetts, New York, le New Hampshire et la Caroline du Nord, les lois autorisant la création des credit unions s'inspirent librement du modèle des caisses populaires et de la législation québécoise en la matière.
À compter de 1914, la maladie oblige Alphonse Desjardins à ralentir ses activités. Il est atteint d'une maladie incurable, l'urémie, qui lui impose de longues et fréquentes périodes de convalescence, entrecoupées de rémissions de courte durée. En 1917, il est forcé de quitter son emploi de sténographe français à la Chambre des communes après 25 ans de service. Confronté à une mort imminente, il songe à créer une fédération et une caisse centrale dans le but d'unir et de fortifier le réseau des caisses populaires et d'assurer ainsi la pérennité de son œuvre. Son plan d'action à ce sujet est défini depuis au moins une dizaine d'années.
S'inspirant de l'expérience coopérative européenne, il voudrait regrouper les caisses populaires locales au sein d'une fédération provinciale qui exercerait des fonctions de propagande, de surveillance et d'inspection. En outre, une caisse centrale permettrait d'administrer le surplus de liquidités des caisses locales et d'offrir des prêts à celles qui manqueraient de fonds. Jaloux de leur autonomie, les dirigeants des caisses populaires reçoivent cette proposition très froidement, d'autant plus que la fédération est au cœur d'enjeux majeurs en ce qui concerne son financement et la répartition des pouvoirs. Conscient de ces embûches, Alphonse Desjardins leur propose, le 3 juillet 1920, la tenue d'une réunion préliminaire de tous leurs représentants pour étudier son projet. Mais ses jours sont comptés.
(La Lumière)
Le 31 octobre 1920, Alphonse Desjardins décède dans sa résidence de Lévis à peine quelques jours avant son 66e anniversaire de naissance. Il sera inhumé le 4 novembre et aura droit à d'imposantes funérailles, auxquelles assistent de nombreux représentants de l'Église et des 2 gouvernements. On dénombre alors environ 140 caisses populaires en activité au Québec. Leur actif total s'élève à 6,3 millions $ et elles regroupent 31 000 sociétaires.
Les compatriotes d'Alphonse Desjardins héritent d'un instrument d'association coopérative et de développement local conçu pour répondre aux besoins et aux aspirations des communautés paroissiales. Au moment de rendre un hommage posthume au fondateur des caisses populaires, plusieurs journaux laissent présager toute la portée économique et sociale de son œuvre. Après avoir désigné Alphonse Desjardins comme « l'un des grands bienfaiteurs de sa race », le quotidien L'Action catholique de Québec pressent que ses caisses ne tarderont pas à constituer « la base solide de la fortune nationale canadienne-française ». Dans le même état d'esprit, Le Devoir prédit pour sa part que « son nom restera comme celui d'un des maîtres initiateurs et des premiers artisans du mouvement coopératif au Canada ».
5 novembre 1854
Naissance de Gabriel-Alphonse Desjardins à Lévis. Il est le huitième enfant du couple Roy dit Desjardins. Des 15 enfants qui naissent de cette union, seulement 8 atteignent l'âge adulte.
1864-1870
Alphonse Desjardins complète le cours commercial au Collège de Lévis, puis la première classe du cours de latin.
1869-1872
Alphonse Desjardins s'enrôle dans le 17e Bataillon d'infanterie de milice volontaire de Lévis et participe à une expédition à la Rivière Rouge, au Manitoba, visant à contrer les Féniens américains, un mouvement révolutionnaire qui lutte pour l'indépendance de l'Irlande.
1872
Alphonse Desjardins commence à travailler au journal L'Écho de Lévis où il apprend le métier de journaliste.
1876
À la suite de la fermeture de L'Écho de Lévis, il passe au Canadien, un quotidien de Québec dont son frère Louis-Georges est copropriétaire.
1879-1889
Alphonse Desjardins travaille à l'édition, à son compte, des débats de l'Assemblée législative de la province de Québec.
2 septembre 1879
Mariage à Sorel avec Dorimène Roy-Desjardins (1858-1932). Le couple a 10 enfants entre 1880 et 1902, dont 3 décèdent en bas âge.
1880-1893
Alphonse Desjardins siège au conseil de la Chambre de commerce de Lévis, d'abord à titre de secrétaire-trésorier jusqu'en 1888, puis de conseiller.
9 juillet 1891 - 10 octobre 1891
Il publie un quotidien, L'Union canadienne, mais des problèmes de santé le forcent à suspendre la publication après seulement 3 mois.
22 avril 1892
Nomination d'Alphonse Desjardins au poste de sténographe français à la Chambre des communes à Ottawa.
6 avril 1897
À la Chambre des communes, Alphonse Desjardins entend les « tristes révélations » du député Michael Quinn concernant les prêts usuraires. Dans les mois qui suivent, il commence une recherche sur les coopératives.
12 mai 1898
Alphonse Desjardins écrit une première lettre à Henry William Wolff (1840-1931), coopérateur britannique, auteur de People's Banks et président de l'Alliance coopérative internationale, qui le met en contact avec différents coopérateurs européens.
1900-1914
Il effectue de multiples démarches auprès d'Ottawa dans l'espoir d'obtenir la reconnaissance juridique des caisses populaires, mais sans succès
6 décembre 1900
Fondation de la Caisse populaire de Lévis, première coopérative d'épargne et de crédit en Amérique du Nord.
23 janvier 1901
Début des activités de la Caisse populaire de Lévis.
1904
Alphonse Desjardins devient membre de l'Alliance coopérative internationale, qui lui accorde le privilège d'en faire partie sur une base individuelle. Il le reste jusqu'en 1910.
21 décembre 1904
Alphonse Desjardins fonde l'Action populaire économique, une « association de propagande », dont le but est de « favoriser le développement de toutes les œuvres économiques populaires ».
5 mars 1906
Adoption à l'unanimité de la Loi concernant les syndicats coopératifs par l'Assemblée législative. Elle est sanctionnée 4 jours plus tard.
1907-1915
Dans le cadre de ses tournées, il participe personnellement à la fondation de 136 caisses populaires au Québec. En plus d'une caisse d'économie, il fonde aussi 18 autres caisses en Ontario français.
1908-1912
Alphonse Desjardins séjourne aux États-Unis à 5 reprises. Il y fonde une douzaine de caisses populaires et de credit unions, la grande majorité dans des paroisses franco-américaines. Il collabore aussi à la rédaction de lois autorisant la création des credit unions dans 4 États américains.
1910
Publication du Catéchisme des caisses populaires, rédigé par l'abbé Philibert Grondin qui signe sous le pseudonyme de J.-P. Lefranc. Une brochure intitulée La comptabilité des Caisses Populaires, rédigée par Alphonse Desjardins, est également publiée cette année-là.
12 avril 1913
Un délégué de monseigneur Louis-Nazaire Bégin (1840-1925), archevêque de Québec, remet à Alphonse Desjardins les lettres papales délivrées par Pie X (1835-1914) le nommant commandeur de l'Ordre de Saint-Grégoire-le-Grand pour récompenser son mérite civil et sa contribution aux œuvres sociales catholiques.
1914
Le médecin d'Alphonse Desjardins diagnostique une maladie grave : l'urémie. Il doit ralentir ses activités.
1917
Alphonse Desjardins quitte son emploi de sténographe français à la Chambre des communes après 25 ans de service.
3 juillet 1920
Alphonse Desjardins envoie une lettre circulaire aux caisses populaires, dans laquelle il leur soumet les grandes lignes de son projet de fédération et de caisse centrale, tout en suggérant la tenue d'une réunion préliminaire de tous leurs représentants.
31 octobre 1920
Décès d'Alphonse Desjardins dans sa résidence de Lévis, quelques jours à peine avant son 66e anniversaire de naissance.
Source : Société historique Alphonse-Desjardins, Juin 2012.