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Commentaire hebdomadaire

Le pouvoir québécois : une vision juste, mais une théorie du changement à préciser

14 novembre 2025
Jimmy Jean
Vice-président, économiste en chef et stratège

Le document Le pouvoir québécois Lien externe au site. présenté cette semaine par le gouvernement du Québec propose un diagnostic globalement juste de la situation économique de la province. En ce sens, il transcende le cycle politique immédiat, et met le doigt sur plusieurs enjeux structurels : la dépendance persistante au marché américain, la lourdeur administrative qui freine la réalisation des projets, la nécessité d’investir massivement dans les infrastructures, ainsi que le potentiel de secteurs stratégiques comme l’énergie, les minéraux critiques ou la défense.

 

La vision d’ensemble, quoique très ambitieuse, est cohérente. Le Québec dispose effectivement d’atouts considérables : un levier énergétique unique avec Hydro‑Québec qui prévoit investir 200 G$ d’ici 2035, un sous-sol riche, des compétences reconnues dans des industries de pointe, et une présence internationale bien établie. Ces éléments ont véritablement le potentiel de soutenir une stratégie de développement plus structurante et tournée vers l’innovation.

 

Mais une question demeure implicite : comment traduire cette ambition en capacité d’action? Le document évoque la réduction de la bureaucratie, la création d’une voie rapide pour les projets d’envergure et un allégement des processus d’approbation. Ces intentions sont légitimes, mais elles se heurtent à des contraintes structurelles bien connues : les délais de planification et de concertation, la complexité réglementaire, la rareté de main-d’œuvre qualifiée (notamment dans les métiers de la construction), ainsi que le défi de maintenir une continuité dans les grands chantiers publics qui résistera aux aléas des cycles politiques.

 

Le texte laisse entendre qu’une volonté politique affirmée pourrait suffire à lever ces obstacles. C’est probablement une simplification excessive. Les mécanismes qui encadrent la décision publique sont nombreux et existent pour de bonnes raisons : garantir la transparence, assurer l’équité, préserver la confiance des citoyens. Réformer ces mécanismes sans les fragiliser nécessite une approche progressive et un dialogue constant entre les acteurs concernés.

 

Ce qui manque, en somme, c’est une théorie du changement : une réflexion sur la manière de gérer les tensions inhérentes à tout projet de transformation économique d’envergure. Ces tensions concernent la conciliation entre développement économique et préservation environnementale, entre rapidité d’exécution et qualité des processus, entre ambition et capacité institutionnelle. Sans mécanismes clairs pour arbitrer ces compromis inévitables, chaque décision risque de devenir une nouvelle bataille politique, et chaque projet d’envergure pourrait être paralysé par l’accumulation de contestations et de révisions.

 

Le document contient toutefois deux pistes intéressantes à explorer. D’abord, la mobilisation accrue d’institutions financières publiques (comme La Caisse et Investissement Québec) pourrait contribuer à accélérer la mise en œuvre de projets structurants en s’appuyant sur des outils déjà existants. Ensuite, l’utilisation stratégique des marchés publics pourrait stimuler l’innovation et renforcer les chaînes d’approvisionnement locales. Ces leviers peuvent créer des effets d’entraînement importants, mais encore là, la proposition impliquant La Caisse soulève toutefois des inquiétudes légitimes quant à l’indépendance de gestion de l’institution et aux pressions pour privilégier des objectifs économiques au détriment du rendement fiduciaire. Cette tension illustre précisément la complexité des arbitrages que toute stratégie de développement doit assumer.

 

Bref, réaliser une vision économique ambitieuse dans un environnement démocratique ouvert est un exercice dont la complexité ne pourra pas être escamotée. Le Québec cherche aujourd’hui à concilier la nécessité d’agir rapidement avec le respect de processus légitimes mais souvent contraignants. Une difficulté supplémentaire vient du fait que les projets mis de l’avant reposent souvent sur des horizons que l’on compte en décennies (infrastructures énergétiques, minéraux critiques, etc.), alors que leurs coûts sont immédiats et visibles. Les déficits budgétaires sont maintenant, l’érosion du pouvoir d’achat frappe les ménages aujourd’hui, et les électeurs sont naturellement impatients de constater des améliorations tangibles. L’asymétrie temporelle entre sacrifices à court terme et promesses à long terme constitue possiblement l’obstacle le plus redoutable pour toute stratégie de développement ambitieuse dans une démocratie.

 

En ce sens, Le pouvoir québécois a peut-être le mérite d’ouvrir une discussion cruciale : comment améliorer la capacité d’exécution collective sans renoncer aux principes qui fondent le modèle économique? Les grandes transformations québécoises du passé (comme la nationalisation de l’électricité dans les années 1960 ou la construction des barrages de la Baie‑James) ont reposé sur un large consensus social et une mobilisation durable des institutions publiques et privées. Si le document peut contribuer à raviver cette conversation et à créer les conditions d’un tel consensus, il aura rempli une fonction utile. Au-delà des intentions, le véritable enjeu est de transformer l’ambition du moment en mouvement durable. Sans consensus, cela s’avérera difficile.


Cette réflexion prend une résonance particulière cette semaine avec le décès d’Alban D’Amours, Ph. D., économiste, ancien président du Mouvement Desjardins et figure marquante de la vie économique québécoise et canadienne. M. D’Amours incarnait précisément cette capacité de conjuguer performance à long terme et coopération. Au nom des Études économiques du Mouvement Desjardins, nous offrons nos sincères condoléances à ses proches, et puisse son exemple continuer d’inspirer celles et ceux qui travaillent à bâtir l’économie de demain.

Lire la publication Indicateurs économiques de la semaine du 18 au 22 juillet 2022

Consultez l'étude complète en format PDF.

NOTE AUX LECTEURS : Pour respecter l’usage recommandé par l’Office québécois de la langue française, nous employons dans les textes, les graphiques et les tableaux les symboles k, M et G pour désigner respectivement les milliers, les millions et les milliards. MISE EN GARDE : Ce document s’appuie sur des informations publiques, obtenues de sources jugées fiables. Le Mouvement Desjardins ne garantit d’aucune manière que ces informations sont exactes ou complètes. Ce document est communiqué à titre informatif uniquement et ne constitue pas une offre ou une sollicitation d’achat ou de vente. En aucun cas, il ne peut être considéré comme un engagement du Mouvement Desjardins et celui-ci n’est pas responsable des conséquences d’une quelconque décision prise à partir des renseignements contenus dans le présent document. Les prix et les taux présentés sont indicatifs seulement parce qu’ils peuvent varier en tout temps, en fonction des conditions de marché. Les rendements passés ne garantissent pas les performances futures, et les Études économiques du Mouvement Desjardins n’assument aucune prestation de conseil en matière d’investissement. Les opinions et les prévisions figurant dans le document sont, sauf indication contraire, celles des auteurs et ne représentent pas la position officielle du Mouvement Desjardins.